La période de Noël est propice aux ‘beaux livres’ comme on aime le dire. Mais au-delà de son format XL et de sa luxueuse présentation, cette nouvelle adaptation du célèbre roman de Lewis Carroll est avant tout une belle déclaration d’amour à ce texte plein de faux-semblants qu’on nous a, pendant des années, faussement présenté comme un conte pour enfants…
Oubliez les versions successives de Walt Disney et de Tim Burton. Elles n’ont pas, malgré leur succès auprès du jeune public, réussit à masquer la vérité : oui, publié pour la première fois en 1885, Alice Au Pays Des Merveilles est surtout une grosse pilule de LSD. Un trip plein de chapelier fou, de lapin toujours en retard et d’hallucinations qui n’en sont pas peut-être pas tant que ça… Il aurait été donc très tentant pour l’illustrateur Daniel Cacouault d’illustrer cette Xe adaptation d’une façon très psychédélique et délurée. Trop même.
Intelligemment, cet illustrateur qui vit entre Paris et Nantes, et qui enseigne, entre autres, à l’école des Gobelins a donc préféré puiser dans son expérience passée sur les contes de Grimm pour à la fois s’ancrer complètement dans l’univers victorien d’origine avec ses haut-de-forme, ses robes opulentes ou ses coiffes raphaelites tout en baignant le tout dans une atmosphère doucereuse de rêve éveillé.
En gros, prenez le compatriote de Carroll, le célèbre peintre John Martin, ôtez à ses oeuvres leurs symboliques guerrières voire sataniques et vous obtiendrez plus ou moins le même résultat.
Ici, Alice n’est plus une enfant mais pas encore tout à fait une adulte. Elle rencontre des créatures fantastiques dont on ne sait si elles lui veulent du bien et du mal, tout comme on ne sait jamais ici si on nage en plein fantasme ou si ces forêts de champignons géants, par exemple, existent vraiment.
En fait, en gardant toutes ces frontières floues sans jamais en gommer la beauté intrinsèque, Daniel Cacouault, qui avoue avoir été aussi influencé par le travail du grand réalisateur japonais d’animation Hayao Miyazaki, rend hommage de la plus belle façon au texte d’origine dont il respecte, voire sublime, le parti-pris malicieux.
À ce titre, la postface où le traducteur Maxime Le Dain explique toute la difficulté, mais donc aussi l’intérêt, de traduire un texte bourré de références plus ou moins cachées à la culture anglo-saxonne populaire du XIXème siècle est aussi éclairante. Alors, un ‘beau livre’ comme on dit donc ? Oh que oui. Mais pas que…
Olivier Badin
Alice Au Pays Des Merveilles de Lewis Carroll, illustré par Daniel Cacouault et traduit par Maxime Le Dain, Bragelonne, 35€