Près de 220 000 femmes avortent chaque année en France. C’est beaucoup. Pourtant, que sait-on vraiment de l’IVG, de ce droit acquis chèrement il y a maintenant 45 ans et régulièrement remis en question ici ou là ? Pas grand chose. Les témoignages de femmes qui y ont eu recours sont très rares. Celui d’Aude Mermilliod est en cela essentiel…
56 millions d’avortement à travers le monde, 216 700 en France, 5 millions de femmes hospitalisées suite à un avortement à risque… voilà pour les chiffres aussi froids que peuvent l’être des chiffres. Et après ? Comment une femme en vient-elle à choisir l’IVG ? Comment le vit-elle ? Comment est-elle prise en charge ? Comment se passe l’acte en lui-même ? Autant de questions qui restent sans réponse pour la plupart d’entre nous.
« Ce qui était important pour moi… », explique Aude Mermilliod, « c’était d’être la plus honnête possible par rapport à des sentiments qui ne sont pas facilement audibles. Je me suis dit : Si tu décides de raconter, il faut vraiment tout dire, même si cela pourra faire lever un sourcil à certains ou que d’autres se diront que tu es un peu givrée sur les bords ».
Et elle raconte tout Aude Mermilliod dans cet album. Depuis le test de grossesse jusqu’à l’avortement. Elle raconte ses états d’âme, ses colères, les jugements des uns, les maladresses des autres. Elle raconte surtout sa détermination à avorter, dès le premier instant et ce sentiment de culpabilité qui ne la quittera pas de si tôt. Elle dit tout, ne cache rien, jusqu’aux scènes les plus intimes. C’est ce qui rend finalement son récit passionnant.
Ce qui le rend également passionnant, c’est la deuxième partie de l’album consacrée à Martin Winckler aka Marc Zaffran, connu comme romancier et essayiste mais surtout comme médecin féministe. Aude raconte cette fois l’histoire de cet homme, les chemins qui l’ont amené à pratiquer l’IVG, son apprentissage… D’un témoignage personnel, Il Fallait que je vous dise se fait dès lors témoignage universel.
« L’arrivée de Martin dans cet album en fait d’avantage un livre sur l’avortement, avant c’était un livre sur « mon » avortement. Mais avant tout, cela reste un album relatant deux témoignages. J’ai vécu l’avortement comme un deuil. J’ai vraiment personnifié cet enfant que je n’ai pas eu, ce qui est souvent un problème pour autrui. On est supposée être un peu triste, parce que sinon, cela veut dire que l’on n’a pas pris la mesure de ce qu’on a fait, mais si on l’est trop, on va s’entendre dire : « Mais c’est toi qui l’a choisi, c’est quoi ton problème ? » Comme si c’était si simple… ».
Pas si simple effectivement. Les 167 pages de l’album au graphisme plutôt sobre et efficace pour ce genre de récit l’attestent. Mais l’ambition d’Aude va plus loin encore : « J’ai l’espoir que ce livre puisse amener du réconfort et aussi donner des clés aux hommes qui accompagnent les femmes. C’est un moment où elles sont rarement dans la verbalisation ou l’explication. Elles sont dans l’émotionnel pur, alors si je peux donner quelques pistes… ».
Eric Guillaud
Il Fallait que je vous le dise, d’Aude Mermilliod. Casterman. 22€ (en librairie le 7 mai)