Tout a disparu, tous les réseaux sociaux, tous les disques durs du plus gros serveur à la plus petite clé USB, toutes les données, toutes les archives, toute la mémoire du monde, nous sommes en présence d’un Bug Numérique Généralisé. Conséquence directe et immédiate, l’humanité est dans la merde!
« L’humanité est dans la merde et on imagine mal à quel point », déclare un protagoniste de ce récit signé Enki Bilal. Et c’est vrai qu’on a du mal à imaginer les conséquences d’une fin brutale du règne numérique. On a réussi à s’en passer pendant des siècles, des millénaires, serions nous capables de nous en passer aujourd’hui et encore plus demain ? Pas sûr du tout.
Et si on a du mal à imaginer ce monde replongé dans l’obscurité, Enki Bilal, lui, l’imagine très bien dans ce récit incroyable, un thriller d’anticipation qui nous embarque en 2041. 24 ans nous séparent, le numérique a fini par s’imposer partout dans notre quotidien. Plus une vie ne passe à côté. Il enseigne, il soigne, il nourrit, il cultive, il transporte, il garde en mémoire… et puis c’est le bug, le black-out, le chaos. Ascenseurs bloqués, automobiles à l’arrêt, banques attaquées, bijouteries pillées, aéronefs en perdition, le monde est paralysé, pire, il est amnésique.
Dans ce chaos, un homme, le cosmonaute Kameron Obb, unique survivant d’une mission sur Mars, revient sur Terre avec un alien en lui, un espèce de bug extraterrestre qui s’est posé sur ses cervicales. Et surtout, l’homme souffre d’une hypermnésie singulière, comme si toutes les données numériques, toute la mémoire du monde avaient migré dans son cerveau. C’est Internet à lui tout seul !
Et c’est là que le récit de science fiction tourne au thriller car, bien sûr, cet homme devient l’objet de toutes les convoitises. Et il n’y a pas que sa femme et sa fille qui attendent son retour avec impatience…
Ça va peut-être vous sembler étrange, tant Enki Bilal est connu et reconnu comme l’un artistes majeurs du neuvième art et au-delà, mais je ne fais pas partie de ses inconditionnels en terme d’univers, surtout dans ces productions les plus récentes. Mais cette fois, j’ai mordu à l’hameçon de la plus belle façon, dès la première page de l’album, quasiment dès la couverture. L’auteur de Partie de chasse, des Phalanges de l’ordre noir ou de La trilogie Nikopol pose à travers ce récit un regard plus accessible et malgré tout très affûté sur ce monde, notre monde, capable de confier toute sa mémoire à des machines. Car c’est bien là le thème central de ce récit, la mémoire, avec tout ce qu’elle a d’essentiel pour la bonne marche de l’humanité. Un album incontournable !
Eric Guillaud
Bug, de Bilal. Éditions Casterman standard 18€, édition luxe 30€