Mélange détonnant entre la série carcérale Oz, l’univers ultra-brutal des gangs chicanos et quête initiatique, on avait déjà vanté les mérites des trois premiers tomes de la série Puta Madre au printemps dernier qui ici finit, apparemment, en fanfare.
Comme c’est marqué sobrement en bas de la page de verso, toutes les cases sont ici cochées : violence, langage grossier, sexe, religion, drogues et… ‘original gangsters’. Avec toujours aux manettes les deux dessinateurs ‘stars’ de l’écurie MUTAFUKAZ, Run et Neyef et toujours ce pot-pourri de culture hip-hop, de mystiques, de croyances incas et d’ultra-violence urbaine où l’on suit le destin de Jésus, enfant envoyé en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis et éduqué derrière les barreaux par des codétenus qui lui ont appris à survivre dans un monde sans pitié.
Ce chapitre final a beau signifier la fin de la saga – du moins en surface car la dernière planche n’est pas vraiment définitive, comme si une éventuelle suite pouvait être envisagée – il n’y a pas vraiment de rédemption en vue. Même si c’est un personnage principal d’abord limite SDF et malade que l’on retrouve, éternellement à la recherche d’une famille de substitution et qui, cette fois-ci, jette son dévolu sur une drôle de troupes d’évangélistes (en même temps, avec un prénom pareil) dont tous les membres cachent leur visage derrière un masque de catcheur mexicain. Il fini d’ailleurs par en devenir un lui-même, s’inventant au passage une nouvelle identité (‘El Diablo’, le Diable) comme s’il voulait une bonne fois pour toute effacer le petit garçon apeuré qu’il avait été.
L’intérêt d’avoir deux dessinateurs au style si distinct est qu’ils apportent chacun un éclairage différent sur la même histoire : le style limite manga mais réaliste et stylé de Run (qui s’amuse même à incruster le temps de quelques cases son héros Lino !) contraste avec celui de Neyef, à la limite plus proche à la fois du graph et d’un Robert Crumb pris d’une soif de sang incontrôlable. Mais on reste toujours dans un style très comics US, ramassé et nerveux, parfait pour ce genre de format court même si cette fin qui n’en est pas vraiment une laisse pas mal de choses en suspens. Mais peut-être moins clivant qu’un Heartbreaker par exemple (trop de vampires ?) et plus ancré dans le réel que DoggyBags, ce dernier volume de Puta Madre est à la fois bien représentatif de l’état d’esprit de cette petite mais déjà costaude maison d’édition et en même temps assez à part. Le tout pour (seulement) le prix d’une bière fraîche…
Olivier Badin
Putra Madre #6, par Run et Neyef, Label 619, Editions Ankama, 3,90 euros