24 Mai

Cent mille journées de prières (livre premier), de Loo Hui Phang et Michaël Sterckeman. Editions Futuropolis. 20 euros.

Dans la cour de l’école, Louis est régulièrement victime de moqueries et de provocations de la part de ses camarades. Certains le surnomment même Bruce Lee et miment quelques mouvements de kung-fu à chaque fois qu’ils peuvent le croiser. De quoi agacer le jeune garçon et lui rappeler qu’il est différent ! Louis est Eurasien, sans doute le seul sans cette banlieue d’une grande ville normande. Il vit avec sa mère, une infirmière, et ne connaît de son père absolument rien. Qui est-il ? Où est-il ? Que fait-il ? A quoi ressemble-t-il ? Autant de questions que le petit Louis se pose et confie à son canari, son seul copain, son confident. Et inutile d’interroger sa mère, il le sait, cette mère qui se mure dans un silence pesant quand elle ne fond pas en larmes. Et puis, un jour, une famille cambodgienne se réfugie chez eux, une famille que semble très bien connaître sa mère… et son père. Louis découvre alors une langue, une cuisine, une culture différente et obtient enfin quelques bribes d’informations sur ce père tant rêvé…

Avec l’histoire de ce petit garçon de huit ans, confronté au racisme « ordinaire » et en même temps à un lourd secret de famille, Loo Hui Phang fait écho à sa propre vie. En préface à l’ouvrage, elle raconte comment son père lui a appris il y a quelques années qu’il avait eu un frère et trois de ses sœurs, dont elle ignorait totalement l’existence, assassinés par les khmers rouges. « En quelques minutes, j’ai vu surgir puis disparaître une partie de ma famille… »,confie Loo Hui Phang, « Cette révélation a donné un visage à mes cauchemars. Il est des événements familiaux qui se muent en secrets, retenus sous un voile de pudeur. Enterrés sous des années de silence, ils continuent de hanter les vivants, d’opérer dans l’ombre leur travail de destruction… ». Avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, Loo Hui Phang parle ici de la souffrance d’un jeune garçon à la recherche de ses origines, de ses racines, pour peut-être mieux supporter cette différence qu’on lui fait remarquer chaque jour ! Et pour mettre en images cette quête fortement intime, le dessinateur Michaël Sterckeman qui a l’habitude d’explorer les rapports humains dans ses récits nous offre cent vingt pages en noir et blanc d’une très grande subtilité. Une histoire en deux volumes à découvrir sans tarder ! E.G.