Une chose est sûre, avec son camion rose, tout rose, Amandine ne passe pas vraiment inaperçue sur le marché des Bonbinettes. Et s’il n’y avait que le camion ! Les marchandises qu’elle y expose n’ont rien… comment dire… rien de bien comestible, local ou bio. Rien à voir en tout cas avec les produits que vendait son défunt père dans ce même camion. Aujourd’hui, Amandine vend des jouets pour adultes comme le célèbre canard de bain jaune et quelques autres curiosités du même genre. Des « bizarreries érotiques tout à fait inoffensives » pour reprendre les propos du maire du village, Raymond Orloff. Inoffensives ? Avec un nom pareil, bien de chez nous, le maire n’est pourtant pas homme à aimer la badinerie. Ce personnage un peu bourru, un peu antipathique pour dire la vérité, vient d’ailleurs de refuser à ses administrés le financement d’un club de peinture sous prétexte que les artistes sont des « feignasses ». Sauf bien sûr Léonard de Vinci qui inventa l’hélicoptère en même temps qu’il peignait La Joconde. C’est dire ! Mais le commerce d’Amandine… c’est autre chose. A croire que Raymond a un petit faible pour la jeune femme….
Comme le camion d’Amandine, l’album est rose, tout rose, depuis la couverture jusqu’aux pages de garde. Mais vous ne trouverez rien de bien pernicieux dans ses pages, juste une fable pleine de légèreté et d’humour autour d’une charmante jeune femme et de son « magasin sexuel » ambulant dans le décor d’un petit village de France que l’on croirait figé dans le temps avec ses codes, ses mœurs, ses mentalités d’un autre siècle… Turf, que l’on a découvert il y a quelques années avec la série La Nef des fous, également publiée aux éditions Delcourt, s’amuse ici à confronter deux mondes, deux univers : « … mon challenge d’auteur consiste ici à mêler deux environnements totalement différents, pour un mariage forcé et improbable, et d’observer avec un certain recul ce qui se passe. C’était déjà le cas dans La Nef des fous ou j’organisais un monde chimérique, enfermé dans une bulle plus ou moins étanche au fond de l’océan. Ce qui m’amuse, c’est l’ensemble des paradoxes et anachronismes que provoquent de telles rencontres. Dans Magasin sexuel, je ne cherche pas à présenter un univers réaliste, mais plutôt à exacerber les relations qui peuvent naître de ce genre de combinaison scénaristique ». Une histoire tendre et imaginative, un graphisme à l’image de cette France qu’il veut dépeindre, à la fois gentiment désuet et moderne, des personnages réellement truculents, beaucoup de drôlerie dans le traité… Impossible de ne pas tomber sous le charme de cette histoire prévue en deux tomes ! E.G.