05 Juil

Ils Iront au jazz, de Ben. Editions Hécatombe. 13 euros.

Pendant que certains vont en enfer ou au paradis, d’autres vont au jazz ! Un plan B en quelques sortes pour les mélomanes, amoureux de Miles Davis, Lee Morgan, Clifford Brown ou encore Bessie Smith… Un plan B que les héros ou plus exactement les antihéros de ce récit, un trompettiste et une chanteuse, ont sans doute espéré durant toute leur vie de misère. Lorsqu’ils se rencontrent au fond d’une impasse sordide et crasseuse, ces deux amoureux du jazz espèrent peut-être en terminer avec la pauvreté et la solitude. De fait, ils vont très vite partager le même lit et, surtout, une solide addiction à l’alcool qui finira par les anéantir…

Avec cet album publié dans la collection Inaccessible étoile de la structure indépendante suisse Hécatombe, Ben, lui-même musicien, rend hommage au jazz. Un récit quasi-muet, en noir et blanc, avec un personnage principal représenté sous les traits d’un animal, un ton cru, direct, une atmosphère glauque… Ils Iront au jazz parle de la rue, de l’amour, de la mort, de la brutalité de la vie… Une oeuvre à découvrir, un auteur à suivre ! E.G.
 

Seconde chance, de Ozanam et Renart. Editions Casterman. 14 euros.

Marianne Welles est une pro de la gâchette. Une vraie, largement appréciée par sa hiérarchie et respectée par ses collègues. La minutie chirurgicale avec laquelle elle accomplit toutes ses missions lui ont valu de nombreuses promotions. Mais aujourd’hui, Marianne s’ennuie ferme. Tirer pour tirer ne l’amuse plus, même s’il s’agit pour elle de déclencher des coups de foudre et non de provoquer la mort. Marianne Welles n’est effectivement pas une tueuse mais plutôt une combattante de l’amour. Et voilà qu’on l’oblige même à travailler le 14 février, son seul jour de congés de l’année. Un comble ! Mais ce jour là, Marianne va à son tour tomber amoureuse et refuser de tirer sur un client. Tout va alors très vite se compliquer pour Marianne…

Le scénariste Antoine Ozanam et le dessinateur Renart revisitent le mythe de Cupidon avec un polar sentimental qui commence dans une ambiance à la Saint-Valentin et s’achève dans un véritable bain de sang. Une histoire d’amour et de haine ! E.G.

Sheol, de Dogado. Editions Delcourt. 14,95 euros.

Inquiétant ! Très inquiétant ! Sheol est un terme d’origine hébraïque intraduisible, désignant le séjour des morts, la tombe commune de l’humanité, sans vraiment pouvoir statuer s’il s’agit ou non d’un au-delà (source Wikipédia). Un monde entre deux, en somme, entre la vie et la mort. Un monde dans lequel errent certains êtres qui refusent de mourir. Voilà pour le décor de ce récit complet signé Dogado. Côté personnage, l’auteur coréen met en scène une jeune amnésique très mal en point qui va faire appel à Esse, un être doté du 3e oeil, le seul capable d’interférer dans ce fameux monde de Sheol… Publié dans la collection Mirages, ce récit de plus de cent pages est surtout remarquable par son graphisme, ses atmosphères, ses cadrages particulièrement travaillés et sombres. De quoi se faire peur avant de dormir ! E.G. 

Vacances, de Nicoby. Editions Drugstore. 15 euros.

Amélie !!! Aucun doute, cette jeune femme avec un enfant furtivement aperçue dans le métro parisien était bien Amélie… Mathieu ne l’a malheureusement pas reconnue à temps et elle a disparu, emportée par la foule. Avec elle, avec Marine, Greg et Franck aussi, ils avaient passé des vacances d’été au bord de la mer. C’était il y a quelques années maintenant. Ils étaient jeunes, ados, libres, insouciants… et avaient pour seules préoccupations de s’amuser, de se baigner, de bronzer et de draguer bien sûr. Souvenirs, souvenirs…

Auteur multicarte, Nicoby explore avec le même talent l’humour, l’aventure, l’intimiste et la chronique sociale. Avec ce one shot, intitulé Vacances, paru aux éditions Drugstore, il mélange un peu tous ces genres pour nous offrir un récit emprunt de légèreté et de nostalgie qui rappellera à chacun de nous quelques bons souvenirs. C’est aussi un récit qui parle du mal être, de la peur du regard des autres, du manque de confiance et même de la mort avec une fin pour le moins dramatique ! Une bonne histoire, des personnages attachants, un graphisme élégant, un album à découvrir… E.G.
 

04 Juil

La Colline empoisonnée, de Freddy Nadolny Poustochkine. Editions Futuropolis. 28 euros.

Deux lieux, deux univers, deux destins… et au final deux histoires qui ne sont pas si éloignées l’une de l’autre ! Sur près de 350 pages, l’Angoumoisin Freddy Nadolny Poustochkine nous offre un récit étonnant, partagé entre le Cambodge d’avant Pol Pot et la France des banlieues. D’un côté, l’auteur met en scène un jeune garçon cambodgien qui découvre, non sans quelques difficultés, la vie de moine bouddhiste, une vie faite de méditation, de jeûne, de mendicité, d’abnégation, d’amour… alors que les Khmers rouges s’emparent du pays et font couler le sang. Retour en France pour la seconde partie de l’histoire avec un autre jeune garçon, au quotidien beaucoup plus proche du nôtre, un jeune garçon qui tombe amoureux d’une certaine Aline, réfugiée cambodgienne… 

Pour l’auteur, l’idée de raconter la vie d’un moine novice dans le Cambodge d’avant Pol Pot est venue à la lecture de cette pensée d’un moine taoïste chinois : « La nuit dernière, j’ai rêvé que j’étais un homme et maintenant, je me demande : suis-je un papillon qui a rêvé qu’il était un homme, ou suis-je un homme qui rêve, pour le moment, qu’il est un papillon? ». « Ce fut… », explique Freddy Nadolny Poustochkine, « la genèse de ce livre. Le rapport étroit rêve/réalité, cette fine et fragile limite m’a toujours fasciné. Ensuite, au fur et à mesure de l’écriture et des recherches, à mesure que mon récit s’affinait, des souvenirs personnels sont venus à moi, et particulièrement un, comme un flash, qui a propulsé mon histoire en lui donnant un envol assez inattendu. C’est le souvenir d’une petite fille de mon âge, à l’époque de l’école primaire, une camarade de classe arrivée en cours d’année, d’un pays lointain et inconnu pour moi jusqu’alors, le Cambodge. Elle fut ma camarade de classe mais aussi ma voisine de palier, comme raconté dans l’histoire ». Construit autour de l’apprentissage de la vie confrontée à la dure réalité historique, La Colline empoisonnée est un récit singulier, tant dans le fond comme on l’a vu que dans la forme. Freddy Nadolny Poustochkine explore ici une forme narrative assez proche de celle employée par Ludovic Debeurme pour Lucille, album également paru aux éditions Futuropolis. Un traitement au lavis, des planches sans vignettes, deux à six illustrations par page, un récit assez long, un rythme lent, une approche contemplative… Mais ne vous y trompez pas, derrière l’apparente douceur du récit, c’est l’insouciance de l’enfance, mise à mal par la violence du monde, qui est ici illustrée ! E.G.

25 Juin

Le Fils d’Hitler, Une aventure de Dickie, de Pieter de Poortere. Edtions Glénat. 15 euros.

Un bien étrange album ! Un étrange personnage aussi avec cette bouille toute ronde et ce corps ramassé qui lui donne des allures de Playmobil. Son nom : Dickie. Et comme tous les Playmobil, Dickie peut endosser tous les costumes du monde et vivre des aventures à toutes les époques de notre histoire. Et dans ce présent album, Dickie à une petite moustache noire, un uniforme militaire et une croix gammée sur l’épaule. Non, vous ne rêvez pas, Dickie se retrouve un peu malgré lui impliqué dans le drame de la seconde guerre mondiale. Malgré lui, mais pour le moins directement, puisque Dickie se révèle être dans l’histoire le fils naturel d’Hitler. Et ce qui pourrait faire le bonheur de l’un pourrait faire le malheur de millions d’autres…

Pieter de Poortere est un jeune auteur flamand bourré de talent et d’influences contemporaines avec un graphisme singulier et un humour pour le moins cynique. Apparu dans les pages du magazine Ferraille des éditions Requins marteaux, Dickie rejoint donc l’écurie Glénat pour un one shot étonnant et détonnant, alliant pages de BD classiques sans parole et grandes planches panoramiques à la manière de la série jeunesse Où est Charlie ?. Une oeuvre à découvrir… E.G.
 

20 Juin

Les Désarmés, de Mezzo et Pirus, et Le Capitaine écarlate, de Guibert et David B, deux albums mythiques des années 90 réédités…

Deux albums, deux univers, deux chef-d’oeuvres qui ont marqué la fin du 20e siècle ! D’un côté, Le Capitaine écarlate, publié initialement en mai 2000, retrouve une nouvelle jeunesse avec cette réédition parue dans la collection Roman Aire Libre des éditions Dupuis. La réduction du format n’enlève rien au récit d’Emmanuel Guibert et David B. Le rêve, le surréalisme, la magie sont toujours au rendez-vous. Depuis, les deux auteurs ont suivi leur propre chemin, le premier explorant avec le succès qu’on connait la bande dessinée-reportage (La Guerre D’Alan, Le Photographe…), l’autre poursuivant dans la fiction pure avec des récits oniriques, fantastiques, poétiques (Les Complots nocturnes, Par les Chemins noirs, Terre de feu, Journal d’Italie…).

Seconde réédition en ce mois de juin, Les Désarmés, un bijou de polar sombre, très sombre, très très sombre même, emmené par Mezzo et Pirus, deux fous de cinéma noir des années 50 et de romans noirs américains, qui signeront par la suite l’inquiétant et fascinant diptyque intitulé Le Roi des mouches ainsi que Deux Tueurs, Mickey Mickey ou encore Un Monde étrange. Cette nouvelle édition a été remaniée de fond en comble par les auteurs : texte révisé, nouvelles couleurs, nouveau lettrage et retouches au niveau du dessin. Un graphisme puissant, une intrigue intelligente, un découpage innovant pour l’époque, des dialogues qui vont à l’essentiel et des personnages paumés et losers à souhait… Finalement, le bonheur est parfois simple comme une réédition ! E.G.

Dans le détail :

Les Désarmés, de Mezzo et Pirus. Editions Drugstore. 22 euros.

Le Capitaine écarlate, de Guibert et David B. Editions Dupuis. 14 euros.

17 Juin

Le Voyage des cendres, Canardo (tome 19), de Sokal. Editions Casterman. 10,40 euros.

Deux insupportables bambins, une gouvernante au charme flamand, des trafiquants de drogue wallons, un canard toujours aussi désabusé… Voilà pour le casting de cette nouvelle aventure de l’inspecteur Canardo ! Côté scénar, Sokal nous invite cette fois à un petit voyage du côté de Charleroi, au coeur des mines, des terrils et des corons. Tout commence aux Etats-Unis avec le suicide du parrain de la mafia belge, Hector Van Bollewinkel. Dans son testament, celui-ci invite ses petits enfants, Harry et Monica, à disperser ses cendres sur les collines de son village natal s’ils souhaitent hériter de sa colossale fortune. A contrecoeur, Harry et Monica s’envolent donc pour la Belgique où ils sont pris en charge par un parent : le cousin Canardo. Mais l’entreprise ne sera pas une mince affaire…

Plus de trente ans d’âge, dix-neuf albums, et toujours le même bonheur ! Avec son regard de canard désabusé et son efficacité redoutable, Canardo s’est fait une place en or dans la bande dessinée franco belge et plus généralement dans le monde du polar. Un classique ! E.G.

14 Juin

Rencontre avec le dessinateur Stéphane Douay à l’occasion de la sortie du second tome de la série Commandant Achab…

Après la trilogie Matière Fantôme, réalisée avec Hugues Fléchard au scénario, le Caennais Stéphane Douay s’associe à Stéphane Piatzszek pour mettre en scène les aventures du commandant Achab, un drôle de flic, unijambiste, ronchon et amateur de pétards. Rencontre…

Quel a été votre premier coup de foudre graphique ?

Stéphane Douay. Bizarrement, ce fut Gotlib. J’adorais son univers et sa façon de faire les mains des filles. Puis Milton Caniff, Alex Raymond ou encore Eisner…

Quel a été leur influence sur votre propre graphisme ?

S.D. L’influence est assez diffuse en fait. On commence par recopier tout ce qui nous tombe sous la main, on arrange le tout pour en faire une histoire puis on prend ses distances. On commence à trouver son propre truc.

Comment qualifiez-vous votre style ?

S.D. Pseudo ligne claire semi-réaliste. Je cherche encore.

Comment êtes-vous passé d’un récit SF à un polar ? Avez-vous dû adapter votre dessin ?

S.D. J’ai envie de tout faire. Dans le sens d’essayer des genres différents. La SF m’attire beaucoup. A chaque histoire, j’ai le sentiment qu’il me faut adapter mon dessin à ce qui doit être raconté. Les nuances ne sont pas flagrantes mais elles existent. Je suis passé de la SF au polar comme on passe du camembert au livarot. Ca n’a pas le même goût mais quand on aime le fromage, c’est toujours bon.

Quelle est la genèse de cette nouvelle série ? Et comment se passe votre collaboration avec le scénariste ?

S.D. Au départ, Stéphane Piatzszek avait conçu son histoire pour une série télé. C’est devenu une BD et aux dernières nouvelles, il semblerait que ça puisse devenir une série télé. Notre collaboration se passe très bien. Il m’envoie son scénario, on en discute, je découpe tout l’album, on en discute, je rajoute, j’enlève, on en discute et puis j’attaque et on ne discute plus !!

Comment voyez-vous l’avenir de la série ? Du personnage ?

S.D. L’avenir de la série est entre les mains des lecteurs. Imaginez une arène romaine avec au milieu le personnage et tout autour, sur les gradins, les lecteurs. Si ces derniers sont assez nombreux, ils lèveront le pousse, sinon…

Dans quels univers vous sentez-vous le plus à l’aise ? Qu’aimez-vous par dessus tout dessiner ?

S.D. Je ne me pose pas la question de cette manière. Avant tout, c’est l’histoire que l’on me propose qui m’accroche. J’y vois alors le plaisir que je peux prendre à la dessiner, comment découper telle ou telle scène, la meilleur façon de raconter. C’est ça qui m’intéresse avant le dessin.

Quels sont vos projets ?

S.D. Un album dans la collection BD jazz, un projet avec Siro qui me propose un scénario très drôle et que j’ai très envie de concrétiser. Et puis faire de la planche à voile mais sans voile et sans planche… De la natation en fait.

Propos recueillis le 16 juin 2010 par Eric Guillaud.

 

Retrouvez la chronique du second volet de la série Commandant Achab ici-même !

13 Juin

Gil Jourdan, Théodore Poussin… Deux intégrales pour l’été !

C’est avec une certaine frénésie – une urgence ? - que les éditions Dupuis rééditent depuis quelques temps les aventures de ses héros en intégrales. C’est ainsi qu’on a pu retrouver, non sans un certain plaisir, les mythiques Spirou et Fantasio, Natacha, Yoko Tsuno, Tif et Tondu, Les Petits Hommes ou encore Gil Jourdan, le personnage de Maurice Tillieux, dont le troisième volet de l’intégrale vient justement de sortir. Au menu, quatre longs récits en version restaurée (Le Gant à trois doigts, Le Chinois à 2 roues, Chaud et froid, Pâtée explosive), quelques récits courts et, en bonus, un cahier graphique d’une trentaine de pages permettant d’approcher le contexte de création de chaque aventure.   

 Mais la grande nouveauté et la très belle surprise en ce mois de juin, c’est sans aucun doute le lancement de l’Intégrale Théodore Poussin. Le tome 1 réunit les quatre premières aventures (Capitaine Steene, Le Mangeur d’archipels, Marie Vérité, Secrets) et un dossier très complet avec photos, illustrations inédites, planches crayonnées, planches première version, projets de couverture… Un très très très beau volume et une plongée au coeur même de la création d’une des séries majeures des années 80. Une série créée par un Rouennais, depuis exilé, le sieur Frank Le Gall. Et la question est : comment nous en étions-nous passés jusqu’ici ? Mystère ! Théodore Poussin est un héros ou plus exactement un anti-héros, un aventurier malgré lui, qui nous invite ici à une virée au pays de l’exotisme et de la poésie. Un voyage et une expérience uniques dans la bande dessinée contemporaine. Avec ces quatre premières aventures, on peut constater la transformation impressionnante du trait de Frank Le Gall qui gagne en maturité, en rondeur, en souplesse, en excellence. Certains y ont vu dès les premières pages un peu de Tintin, un peu de Corto Maltese aussi… Ils avaient raison ! La série compte aujourd’hui douze titres. Le dernier d’entre-eux, Les Jalousies, est sorti en 2005. Cinq ans déjà ! Autant dire une éternité… Et c’est long une éternité… E.G.

  

Dans le détail :

Gil Jourdan l’Intégrale (volume 3), de Tillieux. Editions Dupuis. 24 euros

Théodore Poussin l’Intégrale (volume 1), de Le Gall. Editions Dupuis. 24 euros.