04 Juin

L’Eau du golan, Carmen Mc Callum (tome 12), de Fred Duval, Emem et Vincent Froissard. Editions Delcourt. 13,95 euros.

Nous l’avions laissée du côté de la Nouvelle Calédonie, nous la retrouvons à Jérusalem. Ceux qui connaissent un tant soit peu Carmen Mc Callum ne s’étonneront pas du grand écart, la jeune femme est du genre bourlingueuse. Mais ne vous méprenez pas, il n’y a aucune intention humanitaire ou touristique dans ses voyages d’une manière générale et dans celui-ci en particulier. Carmen Mc Callum est une mercenaire et c’est les armes à la main qu’on la récupère, combattant des centaines de drones à l’humeur réellement massacreuse. Aurait-elle décidé de mettre fin au chaos qui règne sur la ville depuis des années ? De ranger aux oubliettes ces monstres d’acier ? Non, Carmen est simplement venue récupérer un ami de longue date, un ami qu’elle croyait mort et enterré mais qui serait finalement enfermé dans un caisson de survie quelque part dans la ville. Et mieux vaut ne pas se mettre en travers de son chemin lorsqu’elle a décidé quelque chose…

15 ans d’aventures, 12 récits, 2 dessinateurs… et 1 héroïne, unique en son genre, Carmen Mc Callum. Née de l’imagination fertile d’un Rouennais, Fred Duval, cette belle mais dangereuse mercenaire nous ouvre les portes d’un univers futuriste crédible où se mêlent subtilement action de base et technologies de pointe, mondes virtuels et créations de designers. Admirez au passage le pont Coco Chanel délicatement posé sur la Seine à Paris ! A noter dans cette aventure la participation de Pacman, personnage issu de la série parallèle Travis du même scénariste et le changement de coloriste, Schelle ayant laissé sa place à Vincent Froissard. Résultat : des ambiances beaucoup plus sombres et un graphisme qui y gagne en visibilité. Une aventure survitaminée avec en toile de fond, comme très souvent dans les récits de Fred Duval, une pointe de gravité, la préservation de l’environnement et notamment ici la question de la gestion de l’eau. EGuillaud

02 Juin

Philippe Squarzoni sur tous les fronts…

Cinq albums en deux mois ! La bande dessinée politique fait un retour en force en ce printemps 2012. Un retour en force estampillé Philippe Squarzoni. Le voyageur militant, qui a changé de maison d’édition voici quelques temps, passant des Requins marteaux à Delcourt, voit en effet plusieurs de ses albums réédités chez ce dernier à l’occasion de la sortie de Saison brune, une nouveauté dont nous vous en avons parlé précédemment. Sa chronique est à lire ici-même.

Et parmi ces rééditions, il y a bien évidemment Garduno en temps de paix et Zapata en temps de guerre, deux albums publiés au début des années 2000 et qui avaient révélé l’auteur au public, plus précisément aux amateurs de deux genres naissant : la bande dessinée documentaire et la bande dessinée politique. Dans une préface de l’époque, Ignacio Ramonet parle à leur sujet de « polar de la globalisation ». Dans un style narratif et graphique innovant, Philippe Squarzoni, alors militant de l’association Attac, aborde effectivement sur plus de 300 pages la mondialisation libérale et ses dérives, le « pillage planétaire » comme l’écrit Ignacio Ramonet. Et plus qu’un simple constat ou un cri de colère, l’auteur mène ici une enquête rigoureuse, documentée, chiffrée, complétée par des témoignages, une enquête qui nous emmène jusqu’au Mexique, dans un village que les habitants disent s’appeler Garduno en temps de paix et Zapata en temps de guerre. Un véritable appel à la résistance !

Changement de décor avec Torture blanche. Changement de décor mais engagement identique. Philippe Squarzoni nous fait revivre ici une « mission de protection du peuple palestinien » à laquelle il a participé entre décembre 2002 et janvier 2003. But de la mission : « essayer de limiter par la présence d’observateurs internationaux les souffrances infligées aux Palestiniens ». Philippe Squarzoni aborde le quotidien de ce peuple en axant son récit sur la dimension économique du conflit. Un travail qui n’est pas sans rappeler celui de l’auteur et journaliste américain Joe Sacco dans Gaza 1956, en marge de l’histoire ou Palestine, une nation occupée

Et pour finir, Dol. Ce gros pavé de 300 pages a été initialement publié à la veille de la présidentielle de 2007. Philippe Squarzoni, qui s’y représente sur un ring de boxe face à Jean-Pierre Raffarin, donne d’emblée la tonalité de l’ouvrage. C’est un combat pour l’auteur, un combat contre les politiques ultra-libérales menées en France depuis des années et dernièrement par le gouvernement Raffarin. Et tout est passé au peigne fin : les impôts, la réforme des retraites, la santé, le chômage, la lutte contre la délinquance, l’augmentation des rémunérations des ministres, la baisse des allocations… Le propos est bien évidemment politique, très politique, mais l’ouvrage, comme l’ensemble des livres de Philippe Squarzoni, a le mérite d’être basé sur une analyse sérieuse avec interview de spécialistes, de journalistes, d’économistes et bien sûr de personnalités d’Attac.

Qu’on soit proche ou éloigné de ses options politiques, il faut bien reconnaître que Philippe Squarzoni est un auteur singulier par son engagement et sa façon d’aborder la bande dessinée…

EGuillaud

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Dans le détail :

Garduno en temps de paix. 14,30 euros

Zapata en temps de guerre. 15,50 euros.

Dol. 25,50 euros.

Torture blanche. 12,50 euros.

30 Mai

Toby mon ami, de Gregory Panaccione. Editions Delcourt. 14,30 euros.

Attention chien gentil ! Son nom ? C’est marqué sur la gamelle : Toby. Sa race ? C’est plus compliqué. Son maître lui-même, un artiste, ne doit pas en avoir la moindre idée. S’est-il d’ailleurs posé la question un jour ou l’autre ? Peu importe, Toby est un chien gentil ET heureux, heureux de pouvoir gambader à loisirs dans la campagne environnante, de jouer les gardes du corps pour son maître adoré, de courir après les bâtons envoyés par les enfants… Une vie simple seulement troublée par l’arrivée d’un chat et par quelques pensées noires…

Transfuge de la publicité, Grégory Panaccione nous offre avec Toby mon ami un récit graphique muet d’une très grande finesse, drôle, insouciant, poétique, avec un dessin nerveux et expressif basé sur l’écriture automatique (pas de crayonné préliminaire). Un auteur à découvrir… EGuillaud

Plus d’infos sur le blog de Gregory Panaccione

28 Mai

Du vent sous les pieds emporte mes pas, de Castadot et Brynaert. Editions Soleil. 17,95 euros.

Léon n’est qu’un petit garçon lorsque sa mère décède. Il doit alors aider son père au bistrot, remonter les casiers de bières, laver les verres. Pas vraiment le temps de rêver, encore moins celui de se lancer dans sa passion, la peinture. Une rencontre avec un peintre ermite vivant sur un bateau en cale sèche va cependant changer le cours de sa vie. Le vieil homme un peu original, un peu sauvage, accepte de lui enseigner les bases de la peinture. Il lui permet aussi de surmonter son handicap, Léon est daltonien. Malheureusement, la Première guerre mondiale éclate, léon part sur le front. Lorsqu’il en revient, le jeune homme doit accepter le premier travail venu pour simplement survivre. Oubliés les rêves de jeunesse jusqu’au jour où il fait une nouvelle rencontre tout aussi décisive…
Comment aller au bout de ses rêves en dépassant ses propres limites et en faisant face à la dure réalité de la vie ? Voilà ce que les Belges Frédéric Castadot et Gaëtan Brynaert abordent dans ce sympathique album paru au sein de la collection Quadrants Astrobale des éditions Soleil. Une belle histoire, un graphisme très actuel et une atmosphère générale sépia qui relève l’aspect historique et romanesque du récit sont les points forts de cet album… EGuillaud

Plus d’infos sur le site de Gaëtan Brynaert

21 Mai

Rencontre avec Xavier Coste, scénariste, dessinateur et coloriste de l’album Egon Schiele chez Casterman

 


Un auteur est né ! Totalement inconnu du grand public et même des milieux autorisés, Xavier Coste sort mercredi son premier album de bande dessinée, un portrait romancé d’Egon Schiele, le mythique et sulfureux peintre autrichien, un récit remarquable par son intensité graphique et sa qualité narrative. Sans prendre de risque, parions que l’inconnu ne le restera pas longtemps. Il était donc urgent de l’interroger avant que la presse dans un élan mal contrôlé ne l’assaille. Rencontre…
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Quel a été votre premier coup de cœur BD ?

Xavier Coste. Enki Bilal, sans aucun doute. Son univers m’a toujours interpellé.

Quelle a été son influence sur votre travail ?

X.C. Elle s’est surtout faite au niveau du dessin, des ambiances, je dirais. J’ai longtemps reproduit des univers de Science-Fiction, mais je me suis vite rendu compte que je ne serais qu’un ersatz. J’avais donc besoin de m’éloigner, de traiter autre chose… En revanche, j’aimerais revenir à cet univers pour un prochain livre.

Comment qualifiez-vous votre style graphique ?

X.C. Je dirais un dessin semi réaliste. Je tiens à ce que les proportions soient réalistes mais j’aime que le trait « bouge » d’une page à l’autre, parfois mes dessin sont un peu lisses, d’autres fois, le trait est plutôt enlevé. Beaucoup de cases sont faites sans crayonné, pour que ce soit plus vivant. Au niveau des couleurs, j’espère avoir rendu une ambiance qui rappelle la peinture impressionniste.

Pouvez-vous nous expliquer la technique que vous avez employée pour le dessin et les couleurs?

X.C. J’ai dessiné cet album entièrement à l’ordinateur. En faisant tout pour que ça ne saute pas aux yeux ! Comme c’est mon premier livre, j’avais besoin d’avoir le sentiment de tout contrôler. Ça m’a permis de tâtonner, de recadrer chaque dessin, chaque case, pour arriver au résultat que je recherchais. Il m’a fallu beaucoup de temps pour que le dessin se mette en place. Au départ, le projet de ce livre était en petit format, en noir et blanc.

De quels auteurs BD vous sentez-vous proche ?

X.C. En plus de Bilal, j’admire énormément le travail d’auteurs comme Jacques Tardi, François Schuiten, et Hugo Pratt. Ce sont des auteurs qui ont leur propre univers, unique, très marqué. Je suis impressionné par leur bibliographie… De vraies références.

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Lire la chronique de l’album

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Expliquez-nous la genèse de ce tout premier album ?

X.C. Je venais de terminer mes études de graphisme, que j’ai faites par sécurité. J’ai toujours voulu faire de la bande-dessinée, alors c’est tout naturellement que je m’y suis remis à la fin de mes études. Je démarchais des galeries également, comme je peins des portraits. En parallèle j’ai donc mené le projet sur Egon Schiele, dans lequel je relate un peu cette expérience…

Pourquoi avoir choisi l’univers de la peinture ? Et pourquoi Schiele ?

X.C. C’est en découvrant, par hasard, une biographie sur sa vie que l’idée d’en faire un livre s’est imposée. J’ai eu un véritable coup de foudre pour sa vie, son destin, qui m’était complètement inconnu. J’ai besoin qu’un sujet me passionne réellement pour le traiter, sinon je n’y arrive pas, je bloque… C’est pour cela que j’ai tenu à tout assumer tout seul. J’ai besoin de douter, d’être totalement investi dans mon histoire..

Quel regard portez-vous sur le monde de la peinture ? Et sur celui de la bande dessinée ?

X.C. Je connais assez peu l’art contemporain, je suis plus attiré par les peintres impressionnistes. À défaut d’avoir pu vivre à leur époque, j’essaie modestement de reproduire cette ambiance d’autrefois.

Concernant la bande dessinée, je trouve qu’il y a une offre incroyable, il y en a pour tous les goûts, en termes de narration, de dessin… On met de plus en plus l’accent sur le caractère unique d’un auteur. C’est ce qui m’intéresse, sentir la personnalité de quelqu’un à travers son dessin, sa façon de raconter. Un même scénario dessiné par un autre ne donnera absolument pas le même ressenti à la lecture…

22 ans et déjà une impressionnante maturité dans le trait et le traité. Comment voyez-vous l’avenir ?

X.C. Merci ! Le marché de la BD étant ce qu’il est, je pense que cela dépendra des ventes. J’aimerais professionnellement me consacrer à la peinture aussi, mais je n’en ai pas encore eu l’opportunité, et il me reste du travail. J’espère pouvoir faire des livres tant que j’aurais des choses à raconter…

Quels sont vos projets ?

X.C. Je travaille sur un gros projet chez Casterman, une biographie de 120 pages sur Arthur Rimbaud. Comme pour Schiele, je ressentais le besoin d’exploiter ce personnage passionnant. La documentation sur sa vie est considérable, je ne pouvais pas me permettre de faire une adaptation libre contrairement à ma BD sur Schiele, où il m’a fallu romancer et combler les trous dans sa biographie. On peut penser que la vie de Rimbaud est connue de tous, vue et revue, mais en fait absolument pas. Il y a tellement d’anecdotes incroyables, méconnues, que je ne voulais pas passer à côté d’un tel sujet ! La réalité dépasse la fiction. Ce qu’il a vécu, ce qu’il a vu, est complètement fou, hors norme…

Merci beaucoup Xavier…

Interview réalisée par mail le 20 mai 2012 – Eric Guillaud

20 Mai

Egon Schiele, de Xavier Coste. Editions Casterman. 18 euros.

Inutile de chercher sur internet, son nom ne ramènera pas grand chose, tout au plus un blog dont la mise à jour s’est arrêtée en décembre 2009. Il faut donc se rendre à l’évidence, Xavier Coste est un pur inconnu, du moins dans le monde du Neuvième art, un inconnu qui signe quand même l’un des plus beaux albums du moment avec un sujet pour le moins difficile, la vie du mythique et tumultueux Egon Schiele. Certes, le parcours du peintre autrichien mort à l’âge de 28 ans de la grippe espagnole est en soi un véritable roman mais en faire une adaptation en bande dessinée était un pari osé, au moins sur le plan graphique.

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lire l’interview de Xavier Coste

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Pari osé, pari gagnant, Xavier Coste nous offre finalement 64 pages exceptionnelles, captivantes, bouleversantes, 64 pages aux ambiances très travaillées, entre mélancolie et tourment, avec un graphisme qui n’est pas sans rappeler le travail de Schiele. Et c’est là le point fort, très fort, de Xavier Coste. Grâce à son trait nerveux, légèrement distordu, le jeune auteur (22 ans!!) parvient à nous plonger corps et âme dans ce récit, à nous prendre par les tripes dès la première vignette et à nous laisser sur le flanc l’ultime page tournée. Tout y est : le caractère excessif, tumultueux, de Schielle, son égocentrisme, ce sentiment de solitude qui ne le lâchait guère, sa soif de peindre comme si, quelque part, il se doutait que sa vie serait courte. Très courte ! La couverture à elle-seule est une merveille. On y lit toute la fureur de vivre d’Egon Schiele avec en arrière plan ses deux passions : les femmes et la peinture. Bref, si vous deviez n’acheter qu’un album en ce mois de mai, ne cherchez plus, vous l’avez devant les yeux. En librairie le 23 mai. E.G.

17 Mai

Kraken, de Segura et Bernet. Editions Drugstore. 19,50 euros.

On connaissait le dessinateur Jordi Bernet pour la série Torpedo et le scénariste Antonio Segura pour le personnage Hombre ou encore pour Sarvane. C’est en 1987 que les deux hommes se sont retrouvés autour de Kraken, une série d’histoires courtes initialement publiées en France dans le magazine Métal-Hurlant. Direction le futur et les sous-sols d’une ville tentaculaire, Métropolis, où vit une bête immonde appelée Kraken. Personne ne l’a jamais réellement vue, personne ne sait à quoi elle ressemble précisément… mais elle est là dans les égouts, prête à bondir, prête à tuer. Face à elle, le lieutenant Dante qui n’a peur de rien ou presque et s’enfonce chaque jour dans les entrailles de la terre pour combattre la bête et par la même occasion quelques illuminés de la pire espèce qui ont eux-aussi trouvé refuge là. L’histoire est violente, cynique, noire, avec une touche sexy et drôle tout de même, une « série B » comme la qualifie en introduction Jean-Pierre Dionnet, une série B enfin réunit en intégrale après bien des vicissitudes, quelques éditions avortées ou partielles chez plusieurs éditeurs comme Gilou, Les Humanoïdes Associés ou encore Soleil. Un mot enfin sur le trait de génie de Jordi Bernet, un trait expressif, nerveux et précis, un noir et blanc d’une efficacité redoutable qui l’a placé depuis longtemps parmi les plus grands maîtres du genre. E.G.