05 Fév

Rencontre avec Bea Lema, lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du public France Télévisions 2024 pour son album Des Maux à dire

Après Chloé Wary, Léonie Bischoff, Léa Murawiec et Sole Otero, le très convoité Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions a été remis à Beatriz Lema à l’occasion du dernier Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Retour sur un moment important pour la jeune autrice espagnole…

Bea Lema © Vanessa Rabade

Bea Lema est originaire de La Corogne dans le nord-ouest de l’Espagne, mais c’est en France, à Angoulême plus précisément, à l’occasion d’une résidence à la Maison des auteurs, qu’elle a réalisé son premier roman graphique baptisé Des Maux à dire.

Coup d’essai, coup de maître, son album a été retenu dans la sélection officielle 2024 du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême et a reçu le 27 janvier dernier le Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions des mains d’un jury composé de lecteurs et lectrices passionnés du neuvième art et touchés par « la poésie graphique » qui se dégage de son album et par son « traitement sensible de la santé mentale ».

Après quelques jours de repos bien mérités auprès de ses amis et de sa famille en Espagne, Bea Lema a accepté de partager avec nous son ressenti autour de cette très belle aventure et de revenir sur cet album singulier, séduisant et à la thématique universelle.

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L’Œil du marabout de Jean-Denis Pendanx : un plaidoyer contre les enfants soldats avec l’Unicef

Le 12 février est la Journée internationale des enfants soldats. À cette occasion, les éditions Daniel Maghen en partenariat avec l’Unicef publient L’Œil du Marabout, un récit de Jean-Denis Pendanx au cœur de l’un des plus grands camps de déplacés du Soudan du Sud, Bentiu…

Ils ont encore l’âge de l’innocence, mais la guerre en a décidé autrement. Georges et sa jeune sœur Nialony font partie des dizaines de milliers de réfugiés du camp de Bentiu au Soudan du Sud et la vie n’y a rien d’un conte de fée. Au moins sont-ils ici en sécurité, peuvent-ils penser, protégés par les soldats de l’ONU, les fameux Casques bleus.

En sécurité relative tant les conditions de vie sont précaires, la misère totale, la violence omniprésente et les attaques des rebelles encore possibles malgré la présence militaire. Georges et Nialony vont d’ailleurs en faire les frais, enlevés en plein sommeil par un groupe armé. Objectif : faire de Georges un soldat…

© Daniel Maghen / Pendanx

Grand connaisseur de l’Afrique pour y avoir vécu quelques années, Jean-Denis Pendanx l’a régulièrement illustrée dans ses bandes dessinées, que ce soit dans la trilogie Les Corruptibles, le diptyque Abdallahi ou le one shot Au bout du fleuve. Avec L’Œil du Marabout, l’auteur livre un récit fort et poignant inspiré par une action qu’il a menée dans le camp de Bentiu en 2016, invité alors par l’Unicef.

« Ce séjour a été une grande expérience émotionnelle pour moi… », explique Jean-Denis Pendanx en conclusion du livre, « et, durant ces dernières années, j’ai voulu la faire partager sous la forme d’un livre, d’une bande dessinée. Il a fallu pas mal de temps et de réflexion avant de trouver la façon la plus limpide de faire connaître ce monde fermé, en pleine savane, et d’évoquer la vie difficile de ces habitants oubliés de tous ».

© Daniel Maghen / Pendanx

Et cette façon sera une fiction mais une fiction aux personnages bien réels. Georges et Nialony existent, d’autres personnages du récit existent. Et bien sûr, cette guerre était à l’époque une réalité sombre. Jean-Denis Pendanx, sans la montrer de manière frontale l’évoque à travers ce qu’elle induit forcément, les familles dispersées, les populations déplacées et réfugiées dans des camps, les enfants embrigadés, la misère… mais aussi la solidarité avec l’aide humanitaire, l’action des ONG et celle de l’Unicef pour sauver les enfants.

Un graphisme de toute beauté, un récit d’une humanité réconfortante et au final une belle cause à soutenir, celle de l’Unicef qui recevra 0,80€ pour chaque album vendu.

Eric Guillaud

L’Œil du marabout de Jean-Denis Pendanx. Éditions Daniel Maghen. 26€

03 Fév

Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete ou l’histoire vraie d’une esclave dans le Brésil du XIXe siècle

C’est l’un des drames humains parmi les plus abominables, des millions d’hommes et de femmes arrachés au continent africain pour être vendus comme esclaves en Amérique. La bande dessinée évoque régulièrement la traite transatlantique à travers des œuvres de fiction ou documentaires. L’album Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete dépasse les genres pour nous offrir un véritable témoignage de femme esclave dans le Brésil du XIXe siècle…

Lorsqu’on entend le mot esclavage, l’image des Noirs exploités dans les champs de coton au sud des États-Unis nous vient immédiatement à l’esprit. Pourtant, la traite négrière n’a pas concerné que l’Amérique du Nord, loin de là. Le Brésil a à lui-seul importé 4 à 5 millions d’esclaves, soit 40% d’entre eux et il sera le dernier pays à abolir l’esclavage en 1888.

Esclave parmi les esclaves, au service d’un chanoine, Mukanda Tiodora, vivait, ou du moins survivait, à São Paulo, dans le quartier réservé aux personnes noires. Née en Afrique au début du XIXe siècle, prise dans les mailles de la traite transatlantique, elle survit aux terribles conditions de la traversée, débarque au Brésil où elle se voit séparée de son fils et de son mari. 

© ça et là / D’Salete

Dans le Brésil du milieu du XIXe siècle, une importante partie de la population noire a gagné sa liberté. Tiodora non ! Mais elle en rêve, tous les jours, toutes les nuits. Son objectif est clair : tout faire pour obtenir sa lettre d’affranchissement. Analphabète, Tiodora demande à un autre esclave de lui écrire des lettres pour son mari et son fils. Ces lettres, qui ne sont pas toutes arrivées à destination, ont été conservées. Elles témoignent de sa volonté d’acheter sa liberté et de retrouver sa terre natale. Elles offrent aussi une photographie du São Paulo et du Brésil de l’époque, de plus en plus confrontés au mouvement abolitionniste.

© ça et là / D’Salete

C’est en s’appuyant sur cette correspondance et notamment sur les écrits de l’historienne Cristina Wissenbach que Marcelo D’Salete a réalisé Mukanda Tiodora, une œuvre à haute valeur de témoignage tant l’auteur a eu à cœur d’approcher au plus près de la réalité historique, à l’image de ce qu’il a fait dans ses récits précédents parus aux éditions ça et là, Angola Janga et Cumbe (Eisner Award 2018, catégorie meilleur œuvre étrangère), tous deux nous transportant déjà dans le Brésil esclavagiste.

Le juste poids des mots, le choc des images, les planches en noir et blanc de Mukanda Tiodora sont aussi belles que puissantes, il n’en fallait pas moins pour raconter ce passé sombre du Brésil et au-delà de l’humanité. Une œuvre précieuse pour la mémoire historique collective complétée d’un volumineux et riche dossier d’une cinquantaine de pages réunissant une contribution de Cristina Wissenbach, des reproductions et transcriptions des lettres de Tiodora, de nombreuses photos d’époque, une chronologie de la lutte contre l’esclavage à São Paulo ainsi qu’un glossaire et des références bibliographiques.

Eric Guillaud

Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete. Éditions ça et là. 23€