C’est l’un des drames humains parmi les plus abominables, des millions d’hommes et de femmes arrachés au continent africain pour être vendus comme esclaves en Amérique. La bande dessinée évoque régulièrement la traite transatlantique à travers des œuvres de fiction ou documentaires. L’album Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete dépasse les genres pour nous offrir un véritable témoignage de femme esclave dans le Brésil du XIXe siècle…
Lorsqu’on entend le mot esclavage, l’image des Noirs exploités dans les champs de coton au sud des États-Unis nous vient immédiatement à l’esprit. Pourtant, la traite négrière n’a pas concerné que l’Amérique du Nord, loin de là. Le Brésil a à lui-seul importé 4 à 5 millions d’esclaves, soit 40% d’entre eux et il sera le dernier pays à abolir l’esclavage en 1888.
Esclave parmi les esclaves, au service d’un chanoine, Mukanda Tiodora, vivait, ou du moins survivait, à São Paulo, dans le quartier réservé aux personnes noires. Née en Afrique au début du XIXe siècle, prise dans les mailles de la traite transatlantique, elle survit aux terribles conditions de la traversée, débarque au Brésil où elle se voit séparée de son fils et de son mari.
Dans le Brésil du milieu du XIXe siècle, une importante partie de la population noire a gagné sa liberté. Tiodora non ! Mais elle en rêve, tous les jours, toutes les nuits. Son objectif est clair : tout faire pour obtenir sa lettre d’affranchissement. Analphabète, Tiodora demande à un autre esclave de lui écrire des lettres pour son mari et son fils. Ces lettres, qui ne sont pas toutes arrivées à destination, ont été conservées. Elles témoignent de sa volonté d’acheter sa liberté et de retrouver sa terre natale. Elles offrent aussi une photographie du São Paulo et du Brésil de l’époque, de plus en plus confrontés au mouvement abolitionniste.
C’est en s’appuyant sur cette correspondance et notamment sur les écrits de l’historienne Cristina Wissenbach que Marcelo D’Salete a réalisé Mukanda Tiodora, une œuvre à haute valeur de témoignage tant l’auteur a eu à cœur d’approcher au plus près de la réalité historique, à l’image de ce qu’il a fait dans ses récits précédents parus aux éditions ça et là, Angola Janga et Cumbe (Eisner Award 2018, catégorie meilleur œuvre étrangère), tous deux nous transportant déjà dans le Brésil esclavagiste.
Le juste poids des mots, le choc des images, les planches en noir et blanc de Mukanda Tiodora sont aussi belles que puissantes, il n’en fallait pas moins pour raconter ce passé sombre du Brésil et au-delà de l’humanité. Une œuvre précieuse pour la mémoire historique collective complétée d’un volumineux et riche dossier d’une cinquantaine de pages réunissant une contribution de Cristina Wissenbach, des reproductions et transcriptions des lettres de Tiodora, de nombreuses photos d’époque, une chronologie de la lutte contre l’esclavage à São Paulo ainsi qu’un glossaire et des références bibliographiques.
Eric Guillaud
Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete. Éditions ça et là. 23€