31 Jan

L’adaptation réussie et tripante de l’un des récits les plus fantasmagoriques de l’immense H.P. Lovecraft

Bizarrement, malgré son énorme influence sur la fantasy au sens large du terme, Howard Philips Lovecraft et la bande dessinée n’ont jamais trop cliqué. Mais la tendance serait-elle en train de changer ? Après le très réussi Le Dernier Jour de Howard Philips Lovecraft, Kadath L’Inconnue réussit à nous emmener dans les contrées des rêves, quitte à nous perdre complètement…

Le pensum de Lovecraft dont l’écriture s’est, en gros, étalée sur vingt ans est, disons, vaste. Mais pourtant, le personnage de Randolph Carter y tient une place à part car il est l’un des seuls personnages récurrents de son œuvre, apparaissant ou cité dans une demi-douzaine de ces écrits. Parmi ces derniers, La Quête Onirique de Kadath L’Inconnue tient une place à part.

Même si publiée à titre posthume en 1943, c’est le joyau de ce qui fut appelé après coup Le Cycle des rêves. Un récit à tiroir en forme de quête où Carter essaye à tout prix dans ses rêves d’une majestueuse cité et résidence des dieux nommée Kadath, entre aperçue lors de songes précédents. Il s’embarque alors dans un voyage fantasmagorique au cours duquel il traverse plusieurs mondes délirants, dont certains rattachés au fameux culte de Cthulhu, cosmologie autour de laquelle la quasi-totalité de l’œuvre du reclus de Providence s’articule.

© Black River / Flórez, Sanna & Salomon

Pas besoin d’être psy pour comprendre très vite : Carter EST Lovecraft. Un écrivain à l’imagination débridée mais pas reconnu par ses semblables, condamné à s’échapper par les rêves où il rencontre toutes sortes de créatures à la fois mystérieuses et terrifiantes. Cette quête est donc un peu la sienne et cette adaptation, réalisée par deux espagnols et un français, est très référencée. Les auteurs connaissent, ou ont très bien potassé, les travaux du maître et cela se sent. Trop peut-être pour les néophytes qui sont tout de suite jetés dans le bain, sans préambule, les bases de ce qui ressemble au final un peu, à l’instar d’un Alice Au Pays Des Merveilles mais avec option cauchemar, à une sorte de trip perpétuel.

© Black River / Flórez, Sanna & Salomon

Carter rêve-t-il ou vit-il vraiment ces aventures ? Est-il vraiment tour-à-tour sauvé par des goules et des chats ? Rencontre-t-il vraiment Nyarlathotep dit  le Chaos Rampant ? Comment passe-t-il ainsi d’un monde à un autre ? Sans une solide connaissance du monde lovecraftien et de son ‘horreur cosmique’, le lecteur est désormais désorienté, voire perdu. Avant de comprendre, s’il s’accroche, que c’est justement le but et tout l’attrait de cette adaptation à la fois fidèle et quasi-psychédélique malgré ses traits au final assez simplistes.

Toute la force de Lovecraft l’écrivain était sa façon de suggérer plus de montrer les choses, un jeu d’ombres chinoises où le lecteur se retrouvait lui-même à combler les trous et ainsi y imprimer ses peurs les plus féroces. Conscients qu’ils ne pouvaient rivaliser, Florentino Flórez, Guillermo Sanna et Jacques Salomon ont donc pris le contrepied en choisissant l’un de ses textes les plus colorés et les plus visuels. Certes, cette adaptation souffre peut-être d’un rythme certes imparfait et d’une conclusion (comme le texte original cela dit) qui n’en est pas vraiment une. Mais son parti pris assez osé et en même temps plein d’admiration pour sa source ainsi que ces quelques clins d’œil à Little Nemo (!) dans des vignettes enfantines perturbantes prouvent, enfin, qu’adapter du Lovecraft est possible.

Olivier Badin

Kadath L’Inconnue, de Florentino Flórez, Guillermo Sanna & Jacques Salomon. Black River. 19,90 €