Auteur d’une dizaine d’albums principalement publiés par des éditeurs indépendants, le Franco-Brésilien Matthias Lehmann débarque dans le prestigieux catalogue Casterman avec un roman graphique impressionnant qui déroule sur plus de 360 pages l’histoire d’une famille et celle d’un pays, en l’occurrence le Brésil, avec dextérité dans le trait et profondeur dans le propos…
Il lui aura fallu du temps pour le réaliser, trois ans et demi de travail, d’écriture, de mise en images et avant ça de recherches documentaires sur le Brésil et son histoire. Car même si Matthias Lehmann a du sang brésilien de par sa mère, l’auteur est né et a grandi en France. Bien sûr, il y aura des visites régulières à la famille restée là-bas, bien sûr, la mère fera tout son possible pour transmettre à ses enfants l’amour pour son pays et sa culture mais ce n’est qu’une fois le travail terminé autour de la BD que Matthias Lehmann aura, dit-il, l’impression de véritablement connaître ce pays.
Chumbo répond d’ailleurs aux interrogations de l’auteur sur le lien qui l’unit encore à ce pays avec le temps. « De cette grande fratrie brésilienne… », confie-t-il, « il ne reste que ma mère et une de ses sœurs qui vit aux États-Unis, et je me demandais quel allait être, à terme, mon lien avec ce pays. Je me suis aussi lancé dans Chumbo pour conserver une relation personnelle avec le Brésil« .
Pour autant, Matthias Lehmann n’a pas souhaité raconter l’histoire de sa propre famille, Chumbo n’est pas une autobiographie à proprement parler, assurément une fiction très documentée qui s’appuie sur un contexte réel et des personnages crédibles. « Mon récit part de la cellule familiale et se projette au dehors d’abord avec la ville de Belo Horizonte, ensuite l’État du Minas Gerais et, enfin, l’histoire du Brésil ».
La famille imaginée par Matthias Lehmann a pour patronyme Wallace, une famille bourgeoise qui travaille dans l’industrie minière à Belo Horizonte, ville située dans les terres à plus de 400 kms de Rio de Janeiro. Il y a le père Oswaldo, la mère Maria-Augusta, et les enfants, Severino, Ramires, Adelia, Ursula et Berenice. Personnage abject, prêt à tout pour maintenir ses affaires à flot, Oswaldo ne parviendra pourtant pas à éviter le déclassement à sa famille. Peu à peu, au fil du siècle, les Wallace perdent de leur superbe tandis que le pays sombre dans la dictature militaire et se déchire jusqu’au cœur des cellules familiales.
Les Wallace n’y échapperont pas, l’un des fils, Severino, s’affichant plutôt réactionnaire, proche de la dictature, tandis que l’autre, Ramires, rejoindra les guérilleros communistes et goûtera à la torture instaurée par la junte militaire avant de devenir lui-même un célèbre écrivain et de rejoindre la bourgeoisie brésilienne.
Des années 30 au début des années 2000, Matthias Lehmann déroule cette histoire nous offrant au final une fresque familiale d’une intensité incroyable où l’intimité d’un foyer côtoie, affronte plus souvent, les événements, les bouleversements, d’un immense pays. Un récit ambitieux porté par un dessin tout en hachures dense et méticuleux qui fait de chaque planche un petit bijou avec des influences revendiquées venues de la bande dessinée indépendante américaine : Art Spiegelman, Robert Crumb, Daniel Clowes, Chris Ware et Julie Doucet. Que demander de plus ? Une perle !
Eric Guillaud
Chumbo, de Matthias Lehmann. Casterman. 29,95€