Sorti en avril dernier, l’album Judee Sill du tandem Canales – Iglesisas était passé en dehors de mon écran radar. Il faut dire que le nom de Judee Sill ne me disait absolument rien et que la couverture psychédélique ne m’avait franchement pas titillé l’œil. Et pourtant…
Mieux vaut tard que jamais, c’est donc à la faveur de l’été et d’un peu plus de temps de cerveau humain disponible que j’ai remonté cet album du fin fond de la pile de livres à lire urgemment pour enfin l’ouvrir et comprendre de quoi il parlait.
Judee Sill. Ce nom m’était parfaitement inconnu jusqu’à ce jour. Comme il l’était des auteurs avant que l’un d’entre eux ne tombe sur une recommandation Spotify et un morceau en particulier : The Kiss. Il n’en fallut pas plus pour que l’homme, Juan Díaz Canales pour ne pas le nommer, curieux devant l’éternité, commence des recherches au sujet de l’artiste, sans grand succès de prime abord.
« Toute sa vie baignait dans une espèce de brouillard, et les quelques îlots de lumière étaient souvent contradictoire », dira le scénariste.
Alors, Juan Díaz Canales mène l’enquête avec très vite l’idée de raconter son histoire en BD. « C’était même devenu une question de justice : je voulais la remettre en lumière ».
Avec ses parts d’ombre ! Car oui, Judee Sill ne fut pas qu’une musicienne talentueuse qui sortit deux albums au début des années 70 et connut une petite heure de gloire. Elle fût aussi au cours de sa jeunesse tumultueuse une braqueuse, ce qu’il l’amena en maison de redressement, elle se prostitua, elle fit de la prison, et surtout, elle fut addicte à toutes les drogues, ce qui finira par la perdre !
En 1979, alors qu’elle était sortie de tous les écrans radar, son corps est retrouvé à son domicile, Judee Sill serait morte d’une overdose. C’est là que commence et se termine l’histoire de cet album au scénario bâti sur le peu d’articles et d’interviews disponibles, un récit qui n’a nécessairement pas la prétention d’offrir une reconstruction fidèle de sa vie, tant les zones d’ombre sont nombreuses.
« C’est la raison pour laquelle… », explique Juan Díaz Canales, « la structure du livre essaye de refléter les difficultés que nous avons éprouvées. Elle illustre notre désorientation, notre déception, dans cette quête des différentes pièces manquantes du puzzle qu’est la vie de Judee Sill ».
Quoiqu’il en soit, entre reconstitution fidèle et comblements fictionnels, Juan Díaz Canales, scénariste de Blacksad et repreneur des aventures des Corto Maltese, signe ici un scénario solide, déroulant un chapelet de flashbacks à partir du décès de Judee Sill pour nous raconter ce destin hors du commun et pour le moins tragique.
Au dessin, son compatriote Jesús Alonso Iglesias propose un graphisme de caractère à l’image de l’artiste oubliée, un trait épais et saillant, des couleurs qui nous embarquent littéralement dans les années 70, psychédéliques à souhait, bref un album qui plaira à tous les amateurs de musique et bien évidemment de bande dessinée. Un bon moment de lecture et une artiste à redécouvrir !
Eric Guillaud
Judee Sill, de Jesús Alonso Iglesias et Juan Díaz Canales. Dupuis. 25€