Si l’humour peut faire du bien, il peut aussi être affreusement dévastateur. À sa manière et à travers le portrait d’un humoriste qui pourrait lui ressembler un peu, Didier Tronchet invite chacun de nous à la réflexion sur les limites de l’exercice et sur ce qu’il peut cacher. Avec beaucoup de sensibilité et un poil de drôlerie…
Il s’appelle Gilles Collot-Sopiédard, mais tout le monde l’appelle Collot, un drôle de nom pour un drôle de bonhomme. Son métier : faire rire ! Et faire trembler aussi. Car son humour n’a d’égal que sa férocité. Dans le journal où il signe une chronique quotidienne, on le vénère. Sur la place de Paris, on craint ses mots.
« Hé, Collot ! T’as encore sorti le lance-flamme! ».
En position de sniper, Collot flingue à tout va. C’est la guerre. La guerre du bon mot au bon moment. Et pour la gagner cette guerre, Collot doit rester en permanence sur le qui-vive, dégainer le premier, sortir l’artillerie lourde si nécessaire. Rester au top. Toujours. jusqu’au jour où, en direct à la télévision, le bon mot finit par lui échapper. Et de perdre pied…
On aurait presque oublié que Collot est aussi un homme avec ses blessures, ses manques, ses interrogations. Sa psy tente de l’aider mais sa biographie a pas mal de trous, et notamment cette année 1986 qui a disparu des radars. Pas une photo, pas un souvenir. Comme si on avait voulu l’effacer de sa mémoire. Mais pourquoi ?
Oui pourquoi ? C’est toute la question de ce récit qui explore la faille intime d’un protagoniste en apparence solide comme un roc. Mais Gilles Collot-Sopiédard ou Collot-Sopiédard Gilles (prononcez bien toutes les syllabes) se révèle plus fragile, plus humain et donc plus attachant qu’il ne peut laisser paraître de prime abord.
Bien que ce récit ne soit pas revendiqué comme une autobiographie, on y retrouve bien évidemment pas mal de l’auteur qui, comme son héros, a commencé en tant que journaliste, avant de de faire connaître dans la bande dessinée avec un humour particulièrement féroce et un regard aiguisé sur la misère humaine. Ici, l’humour est disons tempéré, Tronchet offrant un portrait touchant et en même temps une réflexion sur l’humour et sa place dans notre société.
Eric Guillaud
L’Année fantôme, de Didier Tronchet. Dupuis. 27€