12 Mar

Environnement toxique, un roman graphique autobiographique à résonance universelle signé Kate Beaton

Déjà repérée des deux côtes de l’Atlantique pour ses récits humoristiques et jeunesse, la Canadienne Kate Beaton livre ici un récit autobiographique d’une rare puissance en même temps qu’un témoignage essentiel sur notre société, l’univers du travail, la place des femmes, les violence sexuelles et sexistes…

Un peu d’eau bénite, un dernier conseil de maman… et Kate, 21 ans, est fin prête pour le grand saut, quitter sa Nouvelle-Écosse natale pour le monde du travail à plus de 5000 km de là, dans la province d’Alberta.

Pourquoi si loin ? Pourquoi l’Alberta ? Parce que c’est dans cette province canadienne que se trouvent les sables bitumineux d’où est extrait le pétrole. Parce que c’est là qu’on peut se faire très vite de l’argent. Et Kate en a besoin pour rembourser son prêt étudiant!

Alors qu’importe la distance, qu’importe le déracinement et l’éloignement des proches, qu’importe le froid et le danger omniprésent, qu’importe le décor sinistre des usines, dépôts et autres mines à ciel ouvert… Kate est prête a faire face à tout.

© Casterman / Beaton

À tout… ou presque ! Car ce que découvre la jeune femme en arrivant sur les lieux dépasse l’entendement. Dans l’univers industriel des sables bitumineux vivent des milliers d’hommes en vase clos, et parmi eux un grand nombre de crétins, plus machistes les uns que les autres, qui prennent les très rares femmes présentes au sein du personnel pour des esclaves sexuelles.

« Tu baises ? », entend-elle régulièrement sur son passage. Il faut dire qu’ici, le patron, celui qui a raison, c’est forcément l’homme. Rumeurs, harcèlement, sexisme, viol… voilà le quotidien que doit affronter Kate.

« Les féministes, c’est juste un tas de salopes tarées qui savent pas de quoi elles parlent »

Ça a le mérite d’être clair et direct. Bien sûr, Kate peut fuir à tout moment cet environnement toxique mais elle en décide autrement. Pour l’argent mais pas seulement ! Une fois écartés les ignobles machistes de tous poils, une fois gratté le vernis des apparences, il reste tout de même quelques hommes attachants et protecteurs.

© Casterman / Beaton

De ces deux années passées au cœur de l’industrie pétrolière, Kate en tire aujourd’hui un récit autobiographique qui raconte bien évidemment son expérience mais avec une résonance universelle, tant, hélas, la phallocratie, le harcèlement, les violences sexuelles et sexistes sont partout les mêmes.

Pour autant, le regard de l’autrice n’est pas non plus celui d’une accusatrice. Elle-même reconnait une certaine compassion et même de la tendresse pour ces hommes. Kate Beaton montre sans pour autant dénoncer, trouvant non pas des excuses à ces comportements mais plus sûrement des explications dans l’éducation, dans la construction sociale, dans le déracinement, l’ennui et la solitude, sentiments partagés par tous les ouvriers. Un extraordinaire témoignage sur notre monde contemporain.

Eric Guillaud

Environnement toxique de Kate Beaton. Casterman. 29,95€