Après le très étonnant festival de ‘body horror’ qu’était Panorama, DELIRIUM reprend une nouvelle fois son bâton de pèlerin et publie pour la première fois en France LE chef d’œuvre du ‘renégat’ Michel Fiffe, son Suicide Squad à lui (les références y sont légions) avec sa vision, forcément torturée et bizarre, d’une équipe de super-héros.
Il n’est pas si étonnant que ça d’apprendre qu’en 2012 Michel Fiffe a dû auto-publier les premiers épisodes de cet OVNI. Le postulat de départ est pourtant presque classique – une équipe de super-héros foutraques employés en sous-marin par le gouvernement tombe dans un traquenard dans une mission foireuse et se retrouve bombardés ennemis publics numéro un. Mais aussi bien dans le fonds que dans la forme, rien ne l’est vraiment.
C’est surtout le trait qui secoue, d’abord : atypique, presque enfantin par moments mais avec ses choix d’angles complètement biscornus et surtout sa mise en couleur à même le papier, le résultat prend un malin plaisir à prendre le contrepied totale d’une industrie où la standardisation à marche forcée et la mise en couleur par ordinateur a fini par tout uniformiser. Fiffe, lui, a repris les choses là d’où elles étaient parties. Â sa façon, il rend ainsi hommages aux maîtres comme Steve Ditko (le papa de Spiderman en 1962) dont il retrouve le sens de l’épuré à l’extrême. Oui, le résultat risque d’en déboussoler certains mais la patte, unique, est là.
Même traitement de cheval avec la narration ou même dans le cadrage. Il n’y a pas de règles. Fiffe peut ainsi passer sept pages à illustrer une course-poursuite endiablée sans ajouter une seule ligne de dialogue ni même un seul bruitage, tout comme il peut aussi sans vergogne ‘tuer’ l’un de ses personnages principaux quasiment sans prévenir, comme pour mieux rappeler au lecteur que c’est lui le maître du jeu. Ces ‘héros’ n’en sont d’ailleurs pas vraiment, ont des sales gueules, un passé parfois troubles, des super-pouvoirs pas tout le temps si supers et ne semblent pas comprendre qu’ils sont ballotés par le destin.
Facile de comprendre le coup de cœur de Laurent Lerner de DELIRIUM pour l’œuvre de Michel Fiffe : dans une industrie de comics où à part quelques rares exceptions les petits nouveaux sont condamnés à trop souvent à vivre dans l’ombre des géants d’hier, Fiffe lui trace sa voie et montre qu’avec les mêmes ingrédients, une autre voie est possible. La preuve avec ces deux premiers volumes, traduits pour la première fois en français alors que la série originale, elle, est toujours en cours de publication sur le continent Nord-Américain.
Olivier Badin
Copra de Michel Fiffe, volume 1 & 2. Delirum. 24€