Après la formidable adaptation du premier roman de Virginia Reeves, Un Travail comme un autre, également parue aux éditions Sarbacane, le talentueux Alex W. Inker revient avec Fourmies la Rouge, dont il signe à la fois le scénario et le dessin. Retour sur un drame ouvrier qui eut un retentissement international…
«Il y a quelque part sur le pavé de Fourmies, une tache de sang innocent qu’il faut laver à tout prix». Ces quelques mots ont été prononcés par George Clémenceau au lendemain de la tragédie de Fourmies le 1er mai 1891, il y a 130 ans. Il faut dire que le drame qui se joua ce jour-là dans cette petite ville du nord qui connaissait alors une véritable explosion démographique avec le développement de l’industrie textile, marqua à jamais l’histoire du 1er mai et plus largement l’histoire des luttes ouvrières.
Avec un style graphique différent de celui qu’on a pu apprécier dans Un Travail comme un autre, inspiré cette fois des journaux de l’époque ou presque, et notamment de L’Assiette au beurre, Alex W Inker nous raconte cette fameuse journée, la mobilisation des ouvriers dès les premières lueurs du jour, les premiers cortèges, les premières échauffourées, les premières arrestations, l’arrivée de l’armée en renfort, et pour finir la répression brutale, aveugle, 10 morts, des hommes, des femmes et des enfants, et une trentaine de blessés.
« Tu sais qui c’est qui leur a mis leurs idées de grève en tête ? », dit un militaire à un autre. « J’sais pas, La Misère ? La faim ? » rétorque l’autre. « innocent va! C’est des idées boches ! Qui travaillent à saboter le pays ! ».
Dans ce dialogue, Alex W Inker dit tout : la bêtise, la haine, la propagande, la légitimation de la République à tirer sur ses propres enfants mais aussi la misère du monde ouvrier qui trime alors sans relâche avec pour seul horizon les cheminées d’usine, pour seule distraction les estaminets, et pour seul réconfort la solidarité du monde ouvrier.
Et si l’auteur parvient à dire autant en deux phrases, et à nous plonger littéralement au coeur même de la tragédie, c’est peut-être parce qu’il est lui-même originaire de Fourmies. Les lieux du drame, il les connaît pour les avoir fréquentés dans sa jeunesse. « Jusqu’à la fermeture des usines… », confie-t-il, « la quasi-totalité de ma famille était composée d’ouvriers d’usine et d’ouvriers en filature. J’ai été élevé entouré de grands-mères, grands-oncles, grandes-tantes, qui avaient passé leur vie derrière les machines. C’est de là que je viens ». Un magnifique hommage à ses ancêtres, à nos ancêtres, à tous ceux qui se sont battus et parfois sont morts pour un monde plus humain !
Eric Guillaud
Fourmies la Rouge, de Alex W. Inker. Sarbacane. 19,50€