Les crossover – vous savez, ces aventures où se croisent des héros de séries différentes – ont toujours eu le vent en poupe du côté de Marvel depuis les années 60, où l’éditeur s’amusait déjà à faire se rencontrer Spiderman et les Quatre Fantastiques dans le même épisode. Cette fois-ci, c’est Conan qui se prête au jeu mais pas forcément de bonne grâce…
Entre Marvel et Conan le Barbare, cela a toujours été une drôle d’histoire. Au début des années 70, le scénariste Roy Thomas a dû littéralement supplier son patron Stan Lee de le laisser adapter en BD le personnage crée par Robert E. Howard en 1932, avant d’en faire l’une des franchises les plus lucratives de « la maison des idées ». Mais après un gros passage à vide à la fin des années 80, Lee le laisse finalement filer à la concurrence laquelle s’empressera, ensuite, de le remettre en selle. Moralité : en 2018, Marvel a de nouveau signé le Cimmérien et visiblement, l’éditeur compte bien rentabiliser son investissement. Donc en plus d’une campagne de réédition colossale, le barbare est actuellement mis à toutes les sauces, avec plus ou moins de réussite.
Ce qui a toujours rendu Conan à part, en plus de l’écriture très classieuse de son créateur, c’est son univers complet et unique, sans vraiment d’autres équivalent chez Marvel. D’où la difficulté d’y ‘transplanter’ d’autres héros… Par un artifice scénaristique un peu pataud, c’est donc le barbare à qui on a demandé ici de faire le voyage pour cette mini-série de cinq épisodes, suite de La Guerre du serpent paru en Septembre dont il répète, hélas, les erreurs.
D’entrée, ça coince avec ce choix, disons, contestable de propulser notre héros dans le Las Vegas d’aujourd’hui sans qu’il ne semble à aucun moment n’en être vraiment troublé. L’autre souci, c’est le côté ‘galerie de personnages’. C’est-à-dire que dans sa quête pour retrouver son ennemi juré le sorcier Kulan Gath, le barbare voit défiler devant lui tout un bataillon de héros ou de méchants ‘mineurs’ dont l’apparition se résume parfois à quelques pages, comme si Marvel avait voulu se servir de cette histoire comme d’une vitrine pour rappeler aux lecteurs l’existence de certains d’entre eux, tel Scarlet Spider. Quitte à un peu trop tout mélanger, Namor le roi d’Atlantis croisant par exemple sans vergogne La Panthère noire pendant que Méphisto tire les ficelles. Un défilé incessant obligeant les auteurs à ne brosser que des portraits assez limités, Conan inclus, dépeint ici comme une brute sans profondeur ne comptant, avant tout, que sur sa force.
Même si sur le papier plutôt amusant, ce road trip frénétique faisant voyager le barbare de Las Vegas aux profondeurs des océans en passant par le Wakanda souffre d’un problème de positionnement. Trop référencé pour les néophytes mais aussi trop superficiel pour les connaisseurs, sans parler d’un style de dessin un peu cartoonesque signé Luke Ross, il ne dépassera sûrement son statut de curiosité un peu trop vite oubliée.
Olivier Badin
Conan – Bataille pour la couronne du serpent par Luke Ross & Saladin Ahmed. Marvel/Panini Comics. 18 €