Pour certains, c’est une aberration, pour tous c’est une révolution, Les Tuniques Bleues changent de mains le temps d’un épisode et plus si affinité après que le scénariste historique de la série, Raoul Cauvin, ait décidé de se retirer avec un bilan plus qu’honorable sur la série : 52 ans de bons et loyaux services, 63 scénarios, des millions d’exemplaires vendus à travers le monde… et un sacré héritage !
Impensable, indécent, scandaleux, méprisable… On les entend d’ici les puristes intégristes du neuvième art furieux de la sortie de ce nouvel opus des Tuniques Bleues non estampillé Cauvin et Lambil. On les entend mais le fait est que Raoul Cauvin a décidé d’arrêter la série, que Lambil a besoin de temps pour digérer la nouvelle et que les éditions Dupuis, qui sont désormais propriétaires de la série, n’ont pas l’intention de laisser filer l’année 2020 sans un album.
Alors, Zorro, non pardon Munuera et Beka sont arrivés, avec leurs grands stylos et leurs grands pinceaux pour réaliser un 65e album baptisé L’Envoyé spécial. Un 65e album ? Oui, Madame, un 65e album, le 64e étant réservé au prochain ET dernier opus signé Lambil et Cauvin qui devrait sortir en 2021 et dont les deux premières planches figurent en exclusivité dans les derniers pages de L’Envoyé spécial.
Et donc, que penser de cet album de Munuera et Beka ? Bien évidemment, comme disait l’autre, reprendre c’est trahir, au moins un peu. C’est le cas ici et c’est plutôt rassurant. Mieux vaut avoir aux manettes d’une telle reprise des amoureux de la série qui cherchent à y mettre leur griffe, leur style graphique (plus enlevé!), leur style d’écriture, de découpage (plus moderne), plutôt que des professionnels du pastiche qui nous apporteraient rien de plus et nous feraient simplement regretter le bon temps.
Mais qu’on se rassure, l’un et l’autre, le scénariste et le dessinateur, ont fait en sorte de conserver l’esprit de la série autour de nos deux héros ou plutôt anti-héros Blutch et Chesterfield, accompagnés ici d’un journaliste du Times qui a réellement existé, William Howard Russell, considéré comme le premier correspondant de guerre de l’histoire. Blutch et Chesterfield sont chargés de sa protection sur le front mais pas seulement tant l’homme et ses écrits semblent déranger les forces en présence. Ah… ces journalistes !
Humour, action, anti-militarisme et réflexion autour des médias… ce nouvel opus des Tuniques bleues est une belle réussite.
Et pour tous les amoureux de Lambil, de son trait affuté, les éditions Dupuis viennent de publier une série d’entretiens inédits entre l’auteur d’un côté, Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault de l’autre. Il y est bien sûr question de sa jeunesse, de ses premiers dessins, de ses lectures, de ses débuts chez Dupuis, de sa première planche des Tuniques Bleues publiée en 1973 dans le journal Spirou, de son appréhension de dessiner les bateaux, mauvais souvenir d’une profonde dépression, de l’arrêt de Cauvin et de son désir malgré tout de poursuivre :
« Pendant des semaines, je n’ai pas pu retourner à ma planche à dessin. Arrêter ? Continuer sans lui ? Je ne me voyais pas travailler avec quelqu’un d’autre, ça a été très compliqué… ».
Plus de 200 pages à l’iconographie remarquable, le témoignage passionnant d’un sacré bonhomme et d’un grand dessinateur sur le travail de toute une vie et plus globalement sur le milieu de la bande dessinée.
Eric Guillaud
Les Tuniques bleues, L’Envoyé spécial, de Munuera et Beka. Dupuis. 10,95€
Lambil, une vie avec les Tuniques bleues, de Christelle et Bertrand Pissavy Yvernault. Dupuis. 39€