Faut-il attendre d’être nonagénaire pour faire le bilan de sa vie, au risque d’oublier ces petites choses insignifiantes mais croustillantes qui font le sel d’un récit, au risque aussi de ne plus pouvoir modifier grand chose à ses choix, ses orientations, pour le restant de sa vie ? Ce bilan, Nicoby a décidé de le faire à 43 ans et en bande dessinée, avec finalement pas grand chose à regretter ou à changer…
Jamais, je ne me permettrai à travers ces chroniques de dévoiler la fin d’une histoire. Pourtant ici, c’est essentiel pour comprendre la genèse de cet album et ce besoin pour Nicoby de se souvenir de sa vie d’artiste à seulement 43 ans. Mes Quatre saisons se termine en effet sur un épisode douloureux pour l’auteur : la maladie d’Alzheimer de sa mère. Des mots qu’on ne trouve plus, des personnes qu’on ne reconnaît plus, des lieux familiers qui deviennent étrangers, une notion du temps qui s’efface… Nicoby assiste impuissant au développement de la maladie. C’est l’hiver !
Revenons au début du livre, c’est le printemps et les premiers pas de Nicoby dans la bande dessinée. Nous sommes au milieu des années 90, en pleine crise. « La BD, c’est bouché de chez bouché… », s’exclame Nicoby, « ça se mord la queue, les journaux disparaissent les uns après les autres. Nan, c’est vraiment pas fiable. Je peux pas miser que là-dessus ».
Pourtant, Nicoby finit par faire son nid dans le milieu, peu à peu, au fil des rencontres. Et quelles rencontres ! Yvan Delporte, Gotlib, Pierre Christin, Fabrice Erre, François Corteggiani, Blutch, Jean-Claude Fournier ou encore Patrice Leconte qui a jadis fait de la bande dessinée font partie du casting de sa vie et donc de ce livre.
Plus qu’une simple compilation de souvenirs, Nicoby nous raconte en quatre saisons, avec beaucoup de légèreté et une pincée d’autodérision, le quotidien d’un auteur de BD. Il en profite également pour rendre un bel hommage au neuvième art avec tout au long du récit des références aux livres qui l’ont marqué, influencé, des livres mais aussi des auteurs, des univers, des personnages comme Tif et Tondu qu’il s’approprie ici le temps d’une mini-aventure sur une dizaine de pages. Cadeau !
Mes quatre saisons aurait dû sortir en avril dernier mais la crise sanitaire en a décidé autrement. L’album vient simplement de rejoindre les étagères de nos librairies préférées, un rayon de soleil dans un automne pluvieux et anxiogène. Toujours bon à prendre !
Eric Guillaud
Mes Quatre saisons, de Nicoby. Dupuis. 22€