09 Déc

Chroniques de Noël : Des plumes & Elle, un bijou graphique signé Paul Salomone

Noël approche et vous séchez affreusement côté cadeaux ? Pas de panique, les Chroniques de Noël sont là pour vous venir en aide avec des bandes dessinées qui pourraient faire de l’effet au pied du sapin. On commence cette année avec Des Plumes & Elle de Paul Salomone…

Débuter notre série de chroniques par cet album nous apparaissait comme une évidence tant il partage avec Noël un côté chaleureux, magique, féérique et poétique. Aux manettes, Paul Salomone. En compagnie de Wilfrid Lupano, l’auteur a précédemment signé le western spaghetti L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu.

Changement de style, changement de registre, Paul Salomone nous entraîne cette fois dans le monde de la nuit et plus précisément dans cet univers tellement singulier des danseuses de cabaret. Athlète de haut niveau, Paul Salomone ne connaissait rien de ce monde de la nuit même s’il a toujours été intrigué par celui-ci. Pour écrire Des Plumes & Elles, il s’est rendu dans différents cabarets emblématiques de Paris, d’autres moins connus, et discuté avec nombre de danseuses.

« Certaines scènes s’inspirent de spectacles vivants auxquels j’ai assisté », confie-t-il dans une interview accordée au magazine Casemate de décembre 2018. « Je me suis attardé sur le cabaret, et me suis principalement intéressé à la dichotomie entre le ressenti de la danseuse et celui du spectateur, difficile à exprimer par les mots, d’où mon choix du dessin et de la poésie ».

Poétique, Des Plumes & Elle l’est assurément. Par le dessin, par la palette de couleurs choisies, par le thème bien évidemment, par le choix d’une unique voix off (pas de dialogues) et par la conception de l’album en elle-même, particulièrement soignée. Magnifique !

Eric Guillaud

Des Plumes & elle, de Paul Salomone. Delcourt. 21,90€

08 Déc

Demon : La réédition en intégrale du récit complètement déjanté de Jason Shiga !

Vous êtes peut-être de ceux qui ont découvert Demon dès sa parution initiale en France entre octobre 2016 et mars 2018. Pour ma part, je le découvre aujourd’hui à travers cette belle intégrale que les éditions Cambourakis ont eu l’excellente idée de proposer à l’approche de Noël…

Le prix est élevé, certes, mais vous en aurez pour votre argent comme dit mon libraire. 42€ mais plus de 750 pages et une histoire complètement dingue qui se lit quasiment d’une traite, la tête plongée dans le bouquin, avide d’en connaître l’issue. Et quand je dis complètement dingue, je suis peut-être encore loin du compte.

Au centre de tout ? Jimmy Yee, un homme de 44 ans, originaire d’Oakland en Californie, un démon, oui, un démon, du genre à se suicider et se retrouver aussi sec dans la peau d’un autre. Pour bien comprendre la problématique, ne sautez pas les premières pages de l’album (bon ok il faudrait être un peu dingue), on y voit notre homme se pendre haut et court et se réveiller le lendemain frais comme un gardon. Visiblement agacé, il se tire une balle dans la tête et hop même pas une petite migraine au réveil. Il finit par se couper les veines dans sa baignoire mais pas la moindre cicatrice, pas la moindre tâche de sang…

C’est un peu désespérant pour ceux qui pourraient avoir de réelles envies de suicide, pour les autres ça peut servir. À s’échapper d’une prison par exemple en empruntant le corps d’un des matons de service. L’immortalité à côté, c’est plutôt banal, voire has-been.

Un tel pouvoir donne envie d’en savoir un peu plus sur le bonhomme. Ok, on connaît son nom, son âge, sa ville d’origine mais après ? Le FBI a enquêté. « On a parcouru tous ses relevés de carte bancaire des 15 dernières années. Il n’a pas acheté un seul DVD, CD ou bouquin. Pas intéressé par le ciné, les matchs ou la religion. Pas d’amis, ni famille, jamais inscrit sur les listes électorales. A mon avis, braquer la banque d’Oakland, c’est ce qu’il a fait de plus excitant dans sa vie ».

Oui, Jimmy Yee a braqué une banque pour ramasser 12 000 dollars. Alors qu’il a un demi-million sur son compte en banque. Étrange non ? Pas plus que le reste du récit, tout est dingue ici à commencer par le personnage principal et tous ceux qui vont lui courir après pendant plus de 700 pages. Car Demon est aussi drôle que dynamique, c’est un road trip impulsif qui nous embarque dans une course folle à travers la planète. On dirait une aventure du Lapinot de notre Trondheim national sous amphétamine.

Sorti initialement en quatre volumes à la fois chez l’éditeur français Cambourakis et l’Américain First Second, Demon arrive aujourd’hui en un seul morceau, de quoi faire plaisir à tous les amoureux de Jason Shiga, à qui l’on doit déjà Fleep, Bookhunter et Vanille ou Chocolat ? Un graphisme minimaliste, presque simpliste, mais rudement efficace, une narration moderne et une mise en page originale, aérée, propice à un rythme de lecture rapide. Complètement incontournable !

Eric Guillaud

Demon, de Jason Shiga. Cambourakis. 42€

© Cambourakis / Jason Shiga

05 Déc

Winnebago Graveyard : l’horreur (très) graphique en roue libre

Une famille innocente, un endroit perdu qu’on ne peut pas retrouver sur la carte et l’horreur qui, tapie, attend la nuit pour frapper… Le scénariste de 30 Jours de Nuit se fait plaisir en rendant hommage au cinéma d’horreur des années 70 appuyé par une débauche d’hémoglobine… Quitte à aller un peu vite en besogne.

Comment l’horreur surgit-il dans le banal, le quotidien morose ? C’est l’une des deux thématiques de ce délire graphique, l’autre étant de rendre hommage à une certaine frange de l’imaginaire horrifique tel qu’il fut façonné par des réalisateurs comme John Carpenter dans les années 70 mais aussi des faits divers sanglants comme les crimes des adeptes de Charles Manson. En soit, pas de grand scénario, pas de grandes explications sur le pourquoi-du-comment ici. Non, juste la terreur qui s’abat sur une famille recomposée en pleine (re)construction dont la seule erreur est d’avoir voulu arrêter son camping-car (le Winnebago du titre en est d’ailleurs une marque célèbre aux Etats-Unis connue pour ce type de véhicule) pour visiter une fête foraine décrépie quelque part en Californie du Sud…

D’accord, parti de ce postulat a priori basique pour, en quelques pages, comprendre que les personnages sont tombés sur une petite ville gangrenée par une secte satanique dont les soi-disant paisibles habitants sont à la recherche d’innocents à sacrifier est, disons, des plus abrupts. Tout comme la violence graphique, affichée dès l’introduction. D’ailleurs, malgré un scénario signé Steve Niles (30 Jours de Nuit), la construction du récit et surtout son rythme saccadé alternant temps forts et grands moments de vide sont franchement mal foutus, empêchant le lecteur de s’attacher aux héros.

Sauf que paradoxalement, tous ces défauts ne font que mettre plus en valeur le travail de la dessinatrice anglaise Alison Sampson au style assez peu orthodoxe. Architecte de formation, chez elle, même les mouvements les plus rapides sont comme figés, tout comme les expressions faciales, ce qui donne au tout un côté très théâtral. Et comme le coloriste, français, s’en donne à cœur joie niveau couleur et que surtout les passages gore le sont vraiment, le résultat est très grandiloquent. Parfois trop certes car pas soutenu comme il faut par une scénographie en béton armée mais quasi-baroque par moments, sans demi-mesure. Après, ‘condamné’ à un seul tome réparti en quatre chapitres, l’histoire semble hélas un peu trop expédiée, même si comme les films d’horreur de série B dont elle se réclame, la conclusion laisse la porte (grande) ouverte à une potentielle suite. Mais si vous aimez bien mettre beaucoup de sauce tomate dans vos plats et que vous n’avez pas peur de vous salir les mains, Winnebago Graveyard a le mérite d’assumer son rôle de croquemitaine.

Olivier Badin

Winnebago Graveyard, de Steve Niles, Alison Sampson, Stéphane Paitreau et Aditya Bidikar, Glénat, 15,95€

04 Déc

Rampokan : un bijou graphique de Peter Van Dongen réédité chez Dupuis

Forcément, son nom ne vous est pas inconnu, le Néerlandais Peter Van Dongen vient de signer le dessin de la 25e aventure de Blake et Mortimer, La Vallée des Immortels. Mais c’est avec Rampokan qu’il s’est fait connaître en France, une histoire aujourd’hui rééditée en intégrale et en couleurs, un plongeon dans le passé colonial de son pays…

Il n’y a pas que la France à souffrir de son passé colonial, aux Pays-Bas aussi le sujet est douloureux et encore aujourd’hui largement tabou.

Au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, les Néerlandais tentent de récupérer leur colonie indonésienne qui sortait d’une longue période d’occupation japonaise et avait proclamé son indépendance unilatéralement à la Libération. Résultat : quatre ans de guerre, près de 160 000 morts et des blessures qui auront bien du mal à cicatriser.

C’est à ce moment précis que débute le récit de Peter Van Dongen, lorsque les Pays-Bas décident d’envoyer leurs troupes pour remettre tout le monde dans le « droit chemin » et éliminer ce « virus nationaliste qui a transformé de paisibles indigènes en meurtriers ».

En 1946, l’intervention de l’armée coloniale ne suffit pas, un contingent de volontaires est envoyé en renfort. Johan Knevel, le héros de cette histoire, en fait partie. Mais lui qui s’est enrôlé pour avant tout retrouver les parfums, les odeurs, les couleurs d’une jeunesse passée dans les jupes d’une nounou néerlandaise se retrouve plongé dans l’enfer d’une guerre qui cache son nom, de simples « opérations policières » pour les Néerlandais, quand nous Français parleront cyniquement un peu plus tard « d’opérations de maintien de l’ordre » en Algérie. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun avec finalement toutes les guerres d’indépendances. En cela, Rampokan a un petit quelque chose d’universel.

Trois ans de recherche et d’écriture, quatre ans pour la mise en images, Rampokan est un bijou de précision graphique et historique qui fut salué dès sa sortie en 1998, à la fois par la presse néerlandaise, les professionnels de la bande dessinée et le public. Il faut attendre cinq ans pour que l’ouvrage paraisse en France aux éditions Vertige Graphic, deux volumes en bichromie, et quinze années supplémentaires pour le voir édité par un grand éditeur, et une collection prestigieuse, Aire Libre. Une version en couleurs magnifiant le graphisme ligne claire exceptionnel de minutie de Peter Van Dongen.

Eric Guillaud

Rampokan, de Peter Van Dongen. Dupuis. 26€

© Dupuis / Van Dongen

01 Déc

Racontars arctiques : L’adaptation en BD du roman de Jørn Riel ressort en intégrale

Belle surprise aux éditions Sarbacane à la veille de Noël, l’adaptation en BD des Racontars arctiques du Danois Jørn Riel vient d’être rééditée sous la forme d’une très belle intégrale à édition limitée et tirage unique. Un petit bonheur à découvrir ou redécouvrir…

Il y a bientôt deux ans, je rencontrais Hervé Tanquerelle dans son atelier pour parler de l’album Groenland Vertigo qui venait alors de sortir chez Casterman, un album qui racontait sur le mode de l’autofiction un périple de trois semaines au Groenland à bord d’un voilier. Lui, si peu baroudeur, avait accepté de participer à une expédition polaire réunissant une dizaine d’artistes et de scientifiques renommés parmi lesquels l’écrivain Jørn Riel. Avec pour mission de « rendre compte de la beauté, de la diversité, de la complexité des fjords, d’échanger entre artistes et scientifiques ». Groenland Vertigo rendait compte de tout çà et bien plus encore.

Pourquoi je vous raconte ça ? Tout simplement parce que l’auteur nantais y avait été justement invité suite à l’adaptation en BD, par lui-même et par Gwen de Bonneval, du livre de Jørn Riel intitulé Des Racontars arctiques

Et cette adaptation initialement publiée en trois volumes est aujourd’hui rééditée en intégrale aux éditions Sarbacane, une édition annoncée comme limitée et à tirage unique par l’éditeur.

Mais savez-vous ce qu’est un racontar ? « Une histoire vraie qui pourrait passer pour un mensonge, à moins que ce ne soit l’inverse ». Dans les pages de ce livre, Gwen de Bonneval et Hervé Tanquerelle mettent des visages sur des personnages hors du commun, des baroudeurs qui se réchauffent à la gnôle et racontent des histoires incroyables, improbables, tellement vraies et fausses en même temps. « Ouvrir ce livre… », confie Jørn Riel en ouverture, « est comme ouvrir la porte du monde arctique tel que je l’ai connu il y a tant d’années. Les trappeurs de ces dessins sont exactement comme je les ai découverts jadis, et de les retrouver ainsi a été une surprise et la source d’une grande joie ».

Racontars arctiques est une plongée au coeur du Groenland, avec ses chasseurs trappeurs barbus, ses ours, ses phoques, ses étendues blanches à perte de vue et même une femme imaginaire, oui, le tout filtré par un Gwen de Bonneval soucieux de préserver l’essence même du texte de Jørn Riel et la truculence des personnages, et mis en images par le jolie coup de pinceau d’Hervé Tanquerelle, des pages en noir et blanc, avec des nuances de gris à l’aquarelle… 380 pages de bonheur, de quoi réchauffer vos longues soirées d’hiver. En bonus, 10 pages d’études graphiques, dessins et aquarelles extraits du carnet de croquis d’Hervé Tanquerelle.

Eric guillaud

Racontars arctiques – L’intégrale, de De Bonneval, Tanquerelle et Riel. Sarbacane. 25€