On le connaissait jusqu’ici pour ses univers absurdes hérités de gens comme Goosens ou Gotlib, il a fait sa rentrée avec Poussière, un récit de science fiction à forte connotation écologique et au graphisme absolument surprenant, Geoffroy Monde change d’univers et le fait bien…
Ce qui saute aux yeux de prime abord, ce sont les couleurs, des aplats aux tons pastel au milieu d’une nature luxuriante, bienvenue sur la planète Alta ! C’est là que Geoffroy Monde déroule son histoire, celle d’un peuple confronté à la colère de la nature, une colère qui prend les traits de cyclopes géants. À chaque fois, c’est le même scénario, les cyclopes attaquent, les humains répliquent, les tuent, mais ils sont systématiquement ressuscités par les Augures parce qu’ils feraient partie intégrante de l’équilibre écologique de la planète. Et les attaques sont de plus en plus violentes et dévastatrices…
Après toute une série de récits humoristiques, le Lyonnais Geoffroy Monde se frotte à la science fiction avec bonheur, mettant en place dès ce premier volet de la trilogie un univers surprenant et passionnant. Les planches sont magnifiques, la palette de couleurs est subtile, le scénario, habile et même audacieux… et la question écologique omniprésente mais pas plombante, de quoi nous donner envie de lui poser quelques questions. Interview…
De rien, Serge & demi-Serge, Papa Sirène et Karaté Gérald… On te connaissait jusqu’ici pour tes univers absurdes, tu débarques sans crier gare dans le monde de la SF avec Poussière. Pourquoi ce changement radical ?
Geoffroy Monde. Je lisais pas mal de comics étant gamin, et j’avais toujours gardé dans un coin de ma tête qu’un jour je me lancerai dans une grande aventure de science fiction à ma sauce. Il a principalement fallu que j’attende d’avoir le niveau technique (et le style graphique) qui me semblait nécessaire pour ça – en plus de parvenir à trouver une histoire qui me motiverait suffisamment pour une saga de trois tomes.
Et plus généralement, j’aime m’essayer à des choses différentes (aussi bien en m’essayant à d’autres formes d’art qu’expérimenter au sein même des métiers de l’illustration). Je trouve aussi important de pouvoir me dire tous les 4-5 ans que ce que je produis n’a rien à voir avec ce que je produisais auparavant. Je suis pas mal incapable de faire la même chose très longtemps.
C’est une remise en cause totale de ton travail y compris de ton approche graphique. Comment s’est opéré le changement ? Pratiquement, techniquement, comment as-tu procédé ?
Geoffroy. Pour trouver ce nouveau style, je me suis « simplement » lancé dans le dessin de Poussière, et ai réussi à l’apprivoiser au fil des pages. Mais il existe une première version des pages du début du tome 1 qui sont radicalement différentes de celle imprimée, quand je m’imaginais faire l’intégralité de la bd dans un style réaliste et peint tout en volume. C’était très laborieux et plutôt laid, je n’avais pas le niveau. Et même pour la version imprimée, je suis beaucoup revenu sur le dessin de la première partie du tome, puisqu’arrivé à la moitié de sa production, j’avais une maitrise plus claire du style graphique dans lequel je m’étais lancé. Inutile de dire qu’il continue à se perfectionner alors que j’évolue actuellement dans le dessin du tome 2.
On sent pas mal d’influences dans ce premier volet, je pense beaucoup en le lisant aux débuts d’Aquablue de Vatine et Cailleteau même si ça n’a rien à voir graphiquement . Es-tu un grand lecteur de SF ? Qu’est-ce qui a pu t’influencer ?
Geoffroy. Je lis quasiment aucune SF, mes souvenirs de lectures importantes dans ce genre remonte à priori aux comics du collège ; mais bon j’ai quand même lu des albums de SF, vu des films, tout ça, qui ont nécessairement nourri ma première excursion dans ce genre – mais je pourrais pas vraiment citer de titres précis. Je sais par contre que j’ai jamais lu d’Aquablue mais je vois le genre.
L’influence plus identifiable, pour moi, ce sont les jeux vidéos du type JRPG auxquels je joue régulièrement (Breath of fire, Final Fantasy, etc.), et qui je pense ont une empreinte plus marquée sur l’univers de Poussière.
Il y a une autre influence précise, en BD, qui a relancé clairement mon envie de faire une grande saga de science fiction (cette envie qui existait en sommeil depuis gamin) : Gaspard de La Nuit, de Joan de Moore. Ce qui s’y passe, graphiquement comme narrativement, n’a à peu près rien à voir avec Poussière. Mais l’ensemble d’albums qui la compose a refait poindre en moi l’envie de produire une œuvre de cette forme et de cette ambition.
L’écologie est au coeur de l’album avec ces cyclopes qui personnalisent la colère de la nature. Est-elle aussi au coeur de tes préoccupations quotidiennes ?
Geoffroy. Je dirais que l’écologie est modérément dans mes préoccupations quotidiennes, je ne suis pas particulièrement plus engagé là-dedans que le français moyen qui fait son tri et ne laisse pas sa TV en veille. Les préoccupations écologiques qui habitent l’univers de Poussière auront un angle particulier, mais je peux pas trop en parler plus pour le moment. Dans un premier temps, avec ce tome 1, je délivre une vision assez basique du problème (la nature est en colère et se retourne contre les humains).
On l’a vu encore avec le typhon qui s’est abattu sur le Japon ces derniers jours, la nature ne fait pas de cadeaux, comme tes cyclopes. C’est une remise en place nécessaire, salutaire, de l’homme selon toi ?
Geoffroy. Non ; je ne suis pas climato sceptique, je suis d’accord avec l’idée que l’activité humaine est à l’origine des dérèglements climatiques. Mais j’ai une autre interprétation de cette causalité, qui n’implique pas vraiment de notion de bien nécessaire (ou même de mal).
Aurais-tu pu aborder des questions environnementales comme celles que tu abordes ici par l’humour ?
Geoffroy. J’imagine que oui, puisque je suis assez mauvais pour parler sérieusement d’à peu près n’importe quel sujet. Je fais des efforts dans mes réponses, là.
Les couleurs font ici réellement parties du récit, elles sont magnifiques et surprenantes. Peux-tu nous en dire un mot ? Comment les as-tu imaginées, réalisées ?
Geoffroy. Je suis d’avis qu’une palette réduite est plus efficace visuellement qu’une palette très variée qui imiterait pourtant la diversité du réel. Je galère beaucoup à trouver mes palettes, c’est souvent un moment angoissant de la réalisation des planches. J’ai essayé de m’intéresser aux théories de colorimétrie (couleurs complémentaires, hue et saturation, etc) mais le lendemain j’oublie tout donc au final j’avance plus à tâtons.
À quoi vont ressembler les prochaines semaines de Geoffroy Monde ?
Geoffroy. Beaucoup de dédicaces prévues un peu partout pour Poussière (librairies et festivals), tout ça est encore en cours d’organisation. Et entre deux escapades, j’avance sur la colorisation du tome 2, qu’on compte sortir en janvier.
Propos recueillis par Eric Guillaud le 12 septembre 2018
Poussière tome 1, de Geoffroy Monde. Delcourt. 15,50€