On connaissait le faible pour ne pas dire le penchant de Bastien Vivès pour les poitrines qui en imposent. En cette rentrée 2018, il ne lâche rien et les habille cette fois d’un chemisier de soie qui change tout…
Un chemisier de soie peut-il bousculer une vie ? Oui, du moins sous la plume et le pinceau de Bastien Vivès. Lui qui, régulièrement, nous met face à des personnages féminins à poitrine généreuse, parfois trop (Les Melons de la colère, Les Requins Marteaux), poursuit sur sa lancée avec une nouvelle héroïne, Séverine, étudiante en lettres à la Sorbonne, totalement inhibée et atone. Jusqu’au jour où elle débarque chez un couple pour faire du baby-sitting et doit enfiler le chemisier en soie de la mère de famille à la suite d’un petit dérapage de vomi.
Elle que personne ne regardait, n’écoutait, attire subitement le regard et occupe l’esprit de tous les hommes qu’elle croise. Comme par magie. Mais ce n’est pas un tour de magie, le chemisier a simplement dévoilé les formes de son corps et surtout révélé sa personnalité. Elle se sent mieux, elle se sent femme, relève la tête, redresse le corps et décide enfin de vivre sa vie, ne plus la subir.
Mais que représente ce chemisier à ses yeux ? Et aux nôtres ? L’accessoire indispensable de la femme moderne et libérée qui travaille et a des responsabilités ou l’attribut d’une soumission aux exigences et fantasmes de la gent masculine ? On peut légitimement se poser la question.
« D’ailleurs… », explique Bastien Vivès dans une interview pour les éditions Casterman, « elle a un rapport d’attraction et de répulsion avec ce vêtement. Elle veut le rendre et elle veut le garder. Elle veut l’utiliser mais elle est aussi piégée par lui. Bien sûr, ce n’est pas aussi simple, mais je voulais qu’on se pose la question : quand tu mets le chemisier, que se passe-t-il ? Le chemisier a-t-il des pouvoirs magiques ? Ou bien, c’est Séverine qui dévoile sa personnalité et qui, même sans le chemisier, reste splendide ? »
« Le défi… », poursuit-il « était de dessiner exactement la même personne qui, sur un dessin n’a pas l’air très intéressante et, sur le dessin d’après, est la femme la plus belle du monde »
Défi relevé haut la main par un Bastien Vivès que l’on présentait il y a quelques années encore comme le petit jeune à la mode, la nouvelle coqueluche et qui a gagné en quelques albums essentiels le rang d’auteur phare du 9e art.
Avec sa touche graphique de plus en plus sobre, épurée, et cette façon qu’il a et que j’adore d’effacer parfois le regard de ses personnages, l’auteur de Polina, Le Goût du chlore ou encore de Lastman, embarque le lecteur dans cette belle histoire de 200 pages sans jamais l’abandonner en cours de route. Le Chemisier se lit d’un trait, c’est beau, c’est légèrement érotique, c’est surtout très bien écrit. Une leçon de simplicité et d’efficacité !
Eric Guillaud
Le Chemisier, de Bastien Vivès. Casterman. 20€ (sortie le 12 septembre)