09 Juin

Les Porteurs d’eau : la belle échappée de Fred Duval en compagnie de Nicolas Sure

Cette aventure-là ne relève en rien de la science-fiction ou de l’uchronie, genres dans lesquels le scénariste Fred Duval s’est fait une belle réputation, non Les Porteurs d’eau publié ce mois-ci sous pavillon Delcourt, est une fiction qui nous embarque au coeur du dopage cycliste dans les pas de deux Pieds nickelés de l’EPO…

Vous souvenez-vous de ces images sidérantes du Tour de France à l’arrêt, des coureurs en grève, des descentes de police dans les hôtels, de Richard Virenque en larmes devant les caméras ? C’était en 1998, tiens… il y a tout juste 20 ans.

Cette édition de la grande boucle a marqué les consciences et fait beaucoup de mal au sport en général. Le dopage se révélait à la face du monde comme étant au coeur même de la logique du sport. Et rien ne dit qu’il ne l’est plus !

Tout ça pour dire que l’histoire de cet album ne sort pas de nulle part. Il y un fond de réalité sur lequel le scénariste Fred Duval, un fondu de la petite reine et un téléspectateur assidu du Tour de France, s’est appuyé pour l’écrire. Mais attention, Les Porteurs d’eau n’est pas une bande dessinée documentaire, c’est une fiction intelligemment construite autour d’une cavale, celle de deux gamins, Jérôme Pignon et Florian Cornu, licenciés au Cyclo du Lyonnais, plus bêtes que méchants, désireux de se faire du fric facile en achetant et revendant des produits dopant. Des Pieds nickelés du dopage en quelques sortes qui vont avoir à faire à de vrais et dangereux pros de la chose.

Et forcément, l’affaire tourne mal, la police intervient au moment où les deux gamins sont sur le point de récupérer le matos. Les vendeurs sortent les flingues, des coups de feu éclatent, Jérôme et Florian en profitent pour se débiner avec la dope mais aussi le fric renversant un policier au passage. Très vite, leur signalement est donné, commence alors une cavale qui va les mener de Maubeuge au Mont Ventoux en passant par Dieppe, Rennes et Volvic, un tour de France par étapes mais en bagnole qui les fera travailler du ciboulot à défaut des mollets. Il faut dire que le père de Jérome Pignon, coureur professionnel, est mort à 37 ans d’une embolie pulmonaire. Au cas où il l’aurait oublié, sa mère compte bien lui rappeler et le ramener dans le droit chemin…

Le scénariste de Carmen Mc Callum, Travis, Hauteville House ou encore Jour J s’offre ici une belle échappée en compagnie de Nicolas Sure, un dessinateur au trait fin, élégant et racé. Admirez cette planche d’étape dans la montagne, tout y est, la fougue, le dépassement de soi, la passion… et même le diable avec sa fourche. Une fiction qui nous apporte l’air de rien un éclairage bienvenu sur le milieu du dopage, ses ramifications et ses effets.

Eric Guillaud 

Les Porteurs d’eau, de Duval et Sure. Delcourt. 17,95€

© Delcourt / Duval & Sure

06 Juin

Superman : quand John Byrne le meilleur auteur des X-Men s’attaque au mythe !

Quiconque a été biberonné aux comics dans les années 80 par l’intermédiaire d’augustes revues comme Strange ou Spidey se souvient forcément, et avec émotion, de John Byrne. Durant la première moitié de cette décennie, ce canadien d’origine anglaise était la star absolue de l’écurie Marvel dont il avait complètement reboosté deux des séries phares : les Quatre Fantastiques et les X-Men. Mais on avait presque oublié qu’en 1987, il était passé à l’ennemi et s’était emparé de Superman pour une réécriture enfin rééditée en France alors qu’on est sur le point de fêter les quatre-vingt ans du héros venu de Krypton.

Lorsque DC Comics appelle Byrne en 1986, le pourtant très vénérable superman était plus ou moins moribond. Toujours respecté mais ‘ringardisé’ depuis quelques années à cause de sa vision très noir et blanc d’un monde qui avait bien changé depuis qu’il avait castagné ses premiers vilains en 1938. Il lui fallait un bon électrochoc, ce seraMan of Steel, titre d’ailleurs repris pour la dernière adaptation cinématographique en date de l’homme d’acier, en 2013. Alors que quatre volumes sont prévus et le premier vient tout juste de sortir, trente ans après sa publication originale aux USA.

© Urban Comics/DC – John Byrne, Jerry Ordway et Marv Wolfman

La force ou la faiblesse (au choix) de ce reboot est d’avoir choisi de revenir aux origines mêmes du personnage mais sans pour autant en altérer vraiment les grandes lignes. On retrouve donc ici tous les éléments clefs de son histoire (la fin de sa planète d’origine Krypton, la découverte de sa vocation, son arrivée au ‘Daily Planet’, ses premières rencontres avec la journaliste Lois Lane et son plus grand adversaire Lex Luthor etc.) réinterprétés par Byrne à sa sauce mais au final, très (trop ?) fidèlement. L’autre point de discorde vient du fait que comme son habitude, le dessinateur signe aussi le scénario et sa vision (imposée par DC ?) est, disons, très monochrome. On n’est pas chez Frank Miller ici ! Superman est plus que jamais un boy-scout très lisse où rien ne dépasse, Luthor un infâme homme d’affaires aux méthodes de gangster et Lois Lane une journaliste un brin caricatural (notamment aux niveaux des choix capillaires, très 80’s) qui vendrait père et mère pour un scoop. Même si les comics n’avaient pas encore entamé leur mue vers un style plus ‘adulte’ et sérieux, ce choix de s’inscrire dans une certaine tradition assez datée au final risquera donc d’en refroidir quelques uns. Et bien que même si officiellement le tout ressort pour fêter les 80 ans de Monsieur Super, c’est avant tout aux fans ‘nostalgiques’ de Byrne que le tout s’adresse.

© Urban Comics/DC – John Byrne, Jerry Ordway et Marv Wolfman

Or malgré des couleurs parfois un chouia criardes, ceux-là seront aux anges car on retrouve ici, intact, tout ce qui fait le grand style de ce (encore plus) grand Monsieur, la netteté des trait et l’humanité générale qui ressort de tous les personnages. D’ailleurs, quelques épisodes sont signés Jerry Ordway et clairement, ce dessinateur plus confidentiel au talent plus confus souffre grandement de la comparaison. Et puis une fois le décor bien posé, quand Monsieur Byrne commence à quitter le plancher des vaches et à toucher à des sujets plus cosmiques (notamment avec l’apparition du super-méchant Darkseid, modèle avoué de Thanos, le super-vilain du dernier carton Marvel au cinéma), on prend vraiment du plaisir. Profitant d’être chez DC, il fait même intervenir Batman lors d’un épisode et s’amuse, par contraste, à donner (enfin) une coloration bien plus sombre et torturé à Bruce Wayne…

En fait, sans s’adresser pourtant particulièrement aux enfants (quoique…) cette réinterprétation du ‘mythe’ Superman est limite la porte d’entrée parfaite pour qui voudrait commencer à plonger dans ce bain de kryptonite mais sans ressortir la série d’origine qui a, elle, salement vieilli. Et puis 80 ans, ça se fête !

Olivier Badin

Superman, Man of Steel, Volume 1 par John Byrne, Jerry Ordway et Marv Wolfman, Urban Comics/DC, 35 euros

Incroyables histoires de la Coupe du monde en BD : un album collectif pour les amoureux du football mais pas que

À quelques jours du lancement de la Coupe du monde de football en Russie, les éditions rouennaises Petit à Petit publient un recueil collectif sur des histoires incroyables mais vraies, des histoires d’hommes et de ballon rond forcément belles et tragiques…

Inutile de cacher mon ignorance totale et mon relatif désintérêt pour le football, ça se sentirait au bout de quelques lignes. Mais cet album paru aux éditions Petit à Petit m’a littéralement captivé et ce dès la première page. Peut-être justement parce que je connais mal cet univers et que ma surprise a été grande de découvrir certaines de ces histoires vraiment, vraiment, incroyables.

Comme cette première édition de la Coupe du monde organisée en 1930 en Uruguay. Pas de lignes d’avion régulières à l’époque, deux semaines de traversée pour les équipes européennes qui comptaient s’y rendre. Les équipes de France, de Belgique, de Roumanie mais aussi le président de la FIFA Jules Rimet accompagné de trois arbitres et du trophée embarquèrent sur le paquebot Conte-Verde à Gênes.

Comme celle aussi de Matthias Sindelar, considéré comme le plus grand sportif autrichien du XXe siècle, à la tête de l’équipe d’Autriche, qui refusa de rejoindre l’équipe nationale allemande lorsque Hitler les fusionna sous le nom de Nationalmannschaft.

Et des histoires comme celles-ci, des petites histoires toujours liées à la grande histoire, ce recueil en compte une bonne trentaine. On y évoque bien sûr la victoire des Bleus en 1998, la débâcle du Brésil en 2014, le fameux coup de tête de Zizou en 2006…

C’est passionnant de bout en bout, les pages documentaires alternent avec les pages de BD signées par un collectif international d’auteurs, 1 scénariste et 28 dessinateurs. Pour les plus mordus, un tableau donne en fin d’ouvrage le palmarès de toutes les équipes. La France apparaît en sixième position avec une première, une deuxième et deux troisièmes places. Mais l’histoire n’est pas terminée. Rendez-vous le 14 juin pour la suite de l’aventure…

Eric Guillaud

Histoires incroyables de la Coupe du monde en BD, collectif. Petit à Petit. 19,90€ 

05 Juin

Aspirine : une histoire de vampire à la Joann Sfar

Joann Sfar aime les vampires, les petit(e)s et les grand(e)s. Asprine appartient à la catégorie des grand(e)s, enfin presque, parce que depuis 300 ans, Aspirine est restée coincée à l’âge de l’adolescence et ça aurait tendance à l’énerver…

Et quand je dis que ça aurait tendance à l’énerver, je suis loin du vrai. C’est de la colère voire de la rage qu’elle éprouve, de la rage et de l’ennui. Sa soeur Josacine, elle au moins, a 23 ans , le bel âge, l’âge de l’amour.

Et elle en profite, collectionnant les amants comme d’autres collectionneraient des dents de vampire. Ah oui, j’oubliais, Aspirine et Josacine sont des vampires, parisiennes, mais vampires tout de même. Avec leurs petites dents. Et leur envie de sang frais. Surtout Aspirine qui aurait même une fâcheuse tendance à se jeter sur tous les hommes qui passent dans son environnement proche pour les dévorer au sens propre, abats compris.

Aspirine a les crocs et le coeur sur la main, mais généralement pas le sien. Malgré tout, la Dracu-girl a ses fans, enfin un fan, Yidgor, presque un gamin, fous de jeux et amoureux depuis peu. Elle va en faire son serviteur et peut-être plus si affinités….

C’est un peu fou, c’est du Joann Sfar ! Après Petit Vampire et Grand Vampire, l’auteur et réalisateur poursuit l’exploration de ce mythe littéraire avec un vampire au féminin, moderne, inscrite en philo à La Sorbonne et partageant avec sa soeur, Josacine, un grand appartement parisien. C’est un peu fou donc mais complètement génial !

Eric Guillaud

Aspirine, de Joann Sfar. Rue de Sèvres. 16€

© Rue de Sèvres / Joann Sfar

03 Juin

Curiosities : un somptueux art-book de Benjamin Lacombe aux éditions Maghen

Écrire que l’art-book Curiosities est somptueux sonne presque comme une évidence tant il réunit deux signatures de talent, celui de Benjamin Lacombe, auteur, et celui de Daniel Maghen, éditeur pour le moins exigeant.

Qu’il s’agisse de la SF avec On Mars, de la biographie avec Mystères! (Tibet) ou Mirages (Will) ou de l’aventure maritime avec Les Voyages d’Ulysse, chaque ouvrage des éditions Daniel Maghen est d’abord un magnifique écrin.

C’est encore le cas cette fois avec Curioisities, un livre qui a exigé quelques spécificités techniques rares nous précise l’éditeur telles qu fer à chaud bleu métallisé, embossing, calques transparents… Les connaisseurs apprécieront !

Mais que serait le plus bel écrin au monde sans bijou à l’intérieur ? Le bijou cette fois s’appelle Benjamin Lacombe, un illustrateur français qui a signé une trentaine d’ouvrages en quinze ans de carrière et élaboré un univers singulier, reconnu jusqu’aux États-Unis où son livre Cerise Griotte, un projet de fin d’études, a été sélectionné par Time Magazine comme l’un des dix meilleurs livres jeunesse de l’année 2007.

Que trouve-t-on dans cet art-book, le premier consacré à Benjamin Lacombe ? Des illustrations bien sûr, parfois publiées au fil de ses albums mais aussi d’autres totalement inédites, des croquis, des travaux pour des films d’animation, des photos… Chaque page est une découverte, un bonheur de raffinement, de finesse, de poésie, de tendresse, un voyage permanent dans un univers incroyablement riche et passionnant.

Eric Guillaud

Curiosities, de Benjamin Lacombe. Daniel Maghen. 35€

02 Juin

Cahiers Tif & Tondu : en attendant l’album de Blutch et Robber

Les aventures de Tif et Tondu renaîtraient-elles sous la plume et les pinceaux des deux frangins Blutch et Robber ? Oui mais juste le temps d’un one-shot qui devrait sortir en octobre 2018. D’ici là, trois Cahiers Tif et Tondu seront publiés. Attention surprise…

Mais où est Kiki ? C’est le titre de ce prochain épisode des mythiques aventures de Tif et Tondu lancées par Fernand Dineur en 1938, reprises avec le succès que l’on sait par le grand Will en 1949, mises en sommeil depuis 1997 après l’album Le mystère de la chambre 43.

Ce one-shot signé Blutch et Robber ne sort pas de nulle part. Ça fait dix ans qu’il traîne dans les cartons mais l’écriture du scénario et sa présentation aux ayant-droits auraient imposé ce délais. D’autant que les auteurs, amoureux de la série, ne voulaient surtout pas la « singer », comme l’a confié Blutch au site ligneclaire.

Et c’est vrai qu’on est assez loin de la ligne claire de Will et des histoires de Rosy, Tillieux ou même Lapière qui se sont succédés à l’écriture. De quoi faire hurler les intégristes de la série ? Peut-être mais Blutch et Robber apportent un vrai et nécessaire dépoussiérage à la série, les planches sont magnifiques, les décors soignés, l’histoire peut-être un peu plus adulte et le tandem toujours aussi savoureux.

Trois Cahiers précéderont la sortie de l’album prévue pour octobre 2018, trois cahiers qui réuniront l’ensemble des planches en noir et blanc ainsi qu’un roman de Tif et Tondu rédigé par Robber, L’Antiquaire sauvage, qui bien évidemment est étroitement lié au scénario. Un ouvrage collector au tirage limité à 2000 exemplaires !

Eric Guillaud

Cahiers Tif et Tondu 1, de Blutch et Robber. Dupuis. 14€

01 Juin

EXPOSITION. Spirou s’offre des vacances d’été à Saint-Malo

En vacances ? Pas tout à fait, le héros des éditions Dupuis sera au cœur d’une exposition intitulée Chapeau bas Spirou et présentée du 1er juillet au 14 octobre à la Chapelle Sain-Sauveur à Saint-Malo. Le bronzage, les doigts de pied en éventail, ce sera pour une autre fois…

Vous ne le savez peut-être pas mais l’histoire de Spirou est intimement liée à celle de Saint-Malo. Le créateur du personnage Rob-Vel est en effet mort dans la cité malouine en 1991 tandis que Jean-Claude Fournier, qui a repris les rênes de ses aventures pendant une décennie habite pas très loin d’ici et a participé à la création du fameux festival Quai des Bulles.

Rien de plus normal donc que le groom vienne donc s’y ressourcer cet été, le temps d’une grande exposition retraçant son histoire, depuis sa création jusqu’à nos jours, 80 années d’une vie trépidante sous les crayons et les pinceaux de douze scénaristes et dessinateurs parmi lesquels Rob-Vel, Jean-Claude Fournier mais aussi Jijé, André Franquin, Yoann, Fabien Vehlmann, Tome, Janry…

L’expo offrira sur plus de 500 m2 un parcours ludique dans l’univers graphique des différents dessinateurs. Reconstitutions de décors tels que le labo du comte de Champignac ou la jungle du Marsu, planches originales, Spirou géant, figurines, agrandissements d’images extraites d’albums, librairie, animations diverses… l’expo Chapeau bas Spirou sera ouverte au public du 1er juillet au 14 octobre. 5,50€ plein tarif, 4€ tarif réduit, gratuit pour les moins de 12 ans.

Eric Guillaud