Des soldats noirs en Bretagne. L’affaire peut paraître aujourd’hui absolument banale, elle l’est nettement moins dans les années 40. Surtout quand ces fameux soldats sont des prisonniers de guerre venus aider aux travaux des champs. Fournier et Kris mettent en images une réalité de la seconde guerre mondiale, une réalité à priori moins tragique, moins sanglante, que celle des combats ou des camps de concentration, mais ne vous y fiez pas, l’horreur n’est jamais très loin et peut surgir à tout moment…
C’est à Landennec, précisément, que Jean-Claude Fournier et Kris ont planté leur chevalet pour nous peindre cette belle histoire d’amour qui se déroule pendant la deuxième guerre mondiale. Car oui, Plus près de toi raconte bien une histoire d’amour entre un de ces prisonniers noirs, Addi, et une jeune institutrice blanche, Jeanne.
Tout commence au Sénégal, lorsque la France entre en guerre contre l’Allemagne. Addi ne rêve que d’une chose, devenir prêtre. Il est sur le point d’être ordonné lorsque cette foutue guerre éclate. Son père, un ancien combattant de la Grande guerre lui ordonne de s’engager pour l’honneur de la famille, pour l’honneur de la patrie. Il revêt l’uniforme et part pour la France où il est rapidement fait prisonnier.
C’est la débâcle, les Allemands ne s’embarrassent pas des prisonniers noirs, ils en fusillent beaucoup. Addi, lui, échappe à la mort mais se retrouve dans un camp de prisonniers en Bretagne. Il y fait froid, il faut construire les baraquements pour s’abriter, se contenter d’une soupe à peine plus épaisse qu’un verre de cidre mais les femmes sont jolies. Le mari de Jeanne est mort à la guerre, du moins le croit-elle, et son coeur est libre. Addi tombe amoureux. Entre l’amour, la guerre et la religion, la vie d’Addi est complètement bouleversée tandis que le monde sombre dans l’horreur absolue…
Pour la première fois, les deux auteurs bretons aux parcours si différents mais identiquement imprégnés de la culture bretonne se retrouvent autour d’une bande dessinée, Kris au scénario, Fournier au dessin. L’histoire à première vue légère d’un tirailleur sénégalais tombant amoureux d’une belle bretonne se révèle plus complexe et plus profonde que ça. La guerre ressurgit régulièrement dans les pages de l’album avec une violence insoutenable et un déchaînement d’actes racistes. Le livre nous interroge aussi, bien évidemment, sur la place de ces soldats venus d’horizons lointains dans notre mémoire collective. Première partie d’un diptyque, Plus près de toi est une fiction inscrite dans un contexte bien réel, une histoire comme il a pu en exister quantité à l’époque, dans une Bretagne qui avait effectivement accueilli de très nombreux prisonniers de guerre.
Kris a dédié ce livre « à tous les soldats ayant combattu pour la France sans en avoir pour autant la nationalité pleine et entière« , et notamment aux tirailleurs africains du Bataillon de marche n°5 de la 1ère Division de la France Libre dont son arrière-grand-père , Henri Hennebaut, était le capitaine.
Eric Guillaud
Plus près de toi, de Fournier et Kris. Éditions Dupuis. 14,50€