Le Convoi, Dolorès, La Nueve, Nuit noire sur Brest, Le Recul du fusil, No pasarán… nombreux sont les albums qui, depuis quelques années, s’intéressent directement ou indirectement à la guerre civile espagnole. Mais jamais, je pense, récit n’avait été aussi fort que celui-ci, aussi fort et éclairant sur les divisions profondes qui ont entraîné le peuple espagnol dans la spirale de la guerre…
Et ce récit-là, Jamais je n’aurai 20 ans, est celui de Jaime Martin, basé sur la vie de ses grands-parents, Isabel et Jaime Benitez. Isabel aurait dû fêter ses 20 ans le 19 juillet 1936 mais la veille, le 18 juillet, les troupes du général Franco renversent le jeune gouvernement espagnol républicain. Isabel, qui fréquente alors une bande d’anarchistes, est obligée de quitter sa ville natale Melilla, ses parents, sa jeunesse, ses rêves. Jamais, elle n’aura 20 ans mais elle survivra, contrairement à beaucoup de ses amis, assassinés par les forces nationalistes.
Direction la banlieue de Barcelone encore sous le contrôle des Républicains. Plus pour très longtemps ! La guerre civile, longue de trois années, ne laissera rien ni personne intact. Les morts se comptent par centaines de milliers, les villes sont ravagées, les bombardements visent pour la première fois des civils… L’Espagne est devenu un champ de bataille où s’affrontent toutes les idéologies de l’époque, telle une répétition générale de la Seconde guerre mondiale.
Mais la guerre n’empêche pas l’amour. Isabel rencontre Jaime, un combattant républicain, avec qui elle choisira de partager sa vie à la fin de la guerre. Ensemble, ils tentent de survivre dans l’Espagne franquiste et de faire oublier leur passé en travaillant durement. Une vie de misère à recycler des bouteilles et flacons vides récupérés dans les poubelles des quartiers chics où on a encore la chance de boire du champagne et de se parfumer.
Dans une Espagne où on ne sait plus très bien qui était avec qui pendant la guerre, où le voisin de pallier, le boulanger du quartier, l’ami d’enfance, peut vous dénoncer, une Espagne où les familles se sont profondément déchirées, où les différents clans se sont haïs et entre-tués sauvagement, le traumatisme est abyssal. Et malheureusement, la fin de la guerre ne marque pas la fin des exactions. Dans cette atmosphère sinistre, Isabel et Jaime fondent un foyer, un refuge pour eux et leurs filles, et se concentrent sur le développement de leur activité…
Ce n’est pas la première fois que Jaime Martin aborde cette thématique du franquisme. Déjà, dans Les Guerres silencieuses, il raconte le service militaire de son père dans le Sahara espagnol et, au-delà, la jeunesse de ses parents dans l’Espagne des années 50, une Espagne tenue d’une main de fer par les institutions, l’armée, la religion. Avec Jamais je n’aurai 20 ans, l’auteur ne fait pas que montrer l’horreur de la guerre, il raconte la vie de ceux qui n’ont pas choisi l’exil au bout du compte et ont dû courber l’échine jusqu’à la mort de Franco en 1975. Un récit passionnant au trait réaliste simple et séduisant !
Eric Guillaud
Jamais je n’aurai 20 ans, de Jaime Martin. Éditions Dupuis. 24€
Extrait d’une interview de Jaime Benitez réalisée en 2004 par l’auteur et illustrée de ses dessins