Lorsqu’on commence à parler en matière de livre du « nouveau untel » ou du « dernier tartempion », c’est que le untel ou le tartempion en question n’est plus à présenter, qu’il fait partie des meubles en quelques sortes, de notre patrimoine culturel et des étagères de nombre de lecteurs. C’est le cas bien sûr de Pascal Rabaté. Et que vaut ce « nouveau Rabaté » qui a pour nom La Déconfiture ? C’est un petit bijou. Mais est-ce vraiment surprenant ?
Sans vouloir le vieillir prématurément, ça fait quand même des lustres que Pascal Rabaté illumine le Neuvième art de son talent de scénariste ET de dessinateur. Depuis le début des années 90 pour être précis, époque de la série Les Pieds dedans, une fable noire qui nous invite à la table d’une famille de Français moyens, vraiment très moyens.
Suivent Ex-Voto, Un ver dans le fruit… et Ibicus, un véritable chef d’oeuvre qui nous aide à changer de siècle, quatre albums publiés entre 1998 et 2001 et un Alph’Art du meilleur album pour le deuxième volet au festival d’Angoulême en 2000.
Plus rien ne peut arrêter Pascal Rabaté. 2003, c’est Bienvenue à Jobourg, 2006 La Marie en plastique mais aussi Les Petits ruisseaux qu’il adapte au cinéma en 2010 et lui ouvre les portes d’une carrière de réalisateur.
Les mauvaises langues peuvent dès lors l’imaginer perdu pour la BD mais non. Pas une année ne passe sans que nous ayons le droit à un « nouveau Rabaté ». Bien des choses, Le Petit rien tout neuf avec un ventre jaune, Crève Saucisse, Biscottes dans le vent… et puis La Déconfiture qui nous entraîne sur les routes de France en juin 1940.
une véritable transhumance, c’est la France des matelas
« Plus fort que l’été 36, toute la France sur les routes (…) une véritable transhumance, c’est la France des matelas », ironise son personnage principal, un simple bidasse au nom très agricole, Amédée Videgrain. Un bidasse plus témoin qu’acteur de cette débandade générale. Entre les trous d’obus et les cadavres de civils ou de militaires jonchant la route, Videgrain joue les panneaux indicateurs et les croque-morts en tentant de garder un certain détachement. L’individu reprend le dessus sur le collectif en fuite. Lui aussi pourrait fuir, déserter. Mais non, sa seule volonté est de retrouver son régiment. Mais où est donc passé le 11e régiment ?
Ah elle est belle l’armée française ! Pendant que les Français sabotent les derniers chars encore en état de marche, les Allemands, eux, s’organisent un méchoui…
Regardez ça, y en a même qui se font dorer la pilule. Je m’en serais passé de ce tourisme de masse
Tourisme de masse ! C’est dans les dialogues, parfois dans les situations, que Pascal Rabaté parvient à glisser un trait d’humour, d’ironie, dans le contexte dramatique de la débâcle. Mais dans le fond, l’auteur pose à travers le destin de ce soldat inconnu un regard fait de compassion sur tous ceux qui ont vécu l’époque.
Taboue la débâcle ? On pouvait penser cet épisode peu glorieux enfoui au plus profond de la mémoire collective. Pourtant, et depuis les années 60, des films comme Week-end à Zuydcoote, Mais où est donc passé la 7e compagnie? et prochainement Dunkerque de Nolan, abordent cette période. Côté bande dessinée, rien d’aussi probant à ma connaissance si ce n’est quelques fictions telles que Comment faire fortune en juin 40 aux éditions Casterman ou Ciel de guerre chez Paquet qui prennent appui sur ce contexte.
Des dialogues savoureux, un trait réaliste épuré et raffiné, une narration formidablement fluide, des personnages qui nous ressemblent… Le « nouveau Rabaté » ne devrait pas déclencher d’exode mais au contraire une affluence record dans toutes les bonnes librairies de France et de Navarre.
Eric Guillaud
La Déconfiture (première partie), de Rabaté. Editions Futuropolis. 19 €