25 Sep

Martha & Alan, Emmanuel Guibert poursuit la mise en images des souvenirs d’Alan Ingram Cope à L’Association

PlancheS_52641

Qu’est ce qui fait qu’une vie mérite ou non d’être racontée ? Bonne question. Peut-être que toutes les vies le méritent finalement et que tout ou presque réside dans la façon de raconter.

En ce sens, la vie d’Alan Ingram Cope n’a rien de fondamentalement extraordinaire ou héroïque. Depuis seize ans pourtant, Emmanuel Guibert nous en livre régulièrement des épisodes avec une façon à lui qui rend l’ordinaire passionnant. Tout commence en 2000 avec le premier volet de La Guerre d’Alan. L’auteur pose en une centaine de pages, un peu moins peut-être, les bases de ce qui le fera connaître du grand public. Un trait sobre et épuré, une narration simple et efficace, une écriture aussi limpide que l’eau d’une rivière de montagne, un récit qui oscille entre la biographie et le documentaire. Cette signature-là se retrouvera dans tous les albums de la série mais aussi dans la trilogie Le Photographe, publiée entre 2003 et 2006.

© L'Association / Guilbert

© L’Association / Guilbert

La Guerre d’Alan raconte la guerre à travers le quotidien du GI californien Alan Ingram Cope, débarqué en France le 19 février 1945, précisément le jour de ses 20 ans, après des mois d’entrainement sur sa terre natale.

À la fin de la guerre, Alan Ingram Cope choisit de rester en France et se retire pour ses derniers jours sur l’île de Ré. C’est là, par le plus grand des hasards, que les chemins de l’ancien GI et de l’auteur de BD se croisent. Nous sommes en 1994. Emmanuel Guibert tombe sous le charme des talents de conteur du vieil homme. Entre les deux hommes se noue une solide amitié. « Alan pratique volontiers l’understatement… », confie l’auteur dans une interview pour lemonde.fr, «Il est quelqu’un qui « euphémise » ce qu’il raconte par une certaine douceur et une volonté de ne pas appuyer son propos. Faisant cela, il raconte souvent des anecdotes de très forte portée, d’une manière transparente, cristalline, fluide – anecdotes qui, du coup, peuvent passer le filtre d’une sensibilité qui s’arrêterait à la lettre de ce qui est dit. »

© L'Association / Guilbert

© L’Association / Guilbert

Pendant cinq ans, Emmanuel Guibert enregistre Alan parlant de sa vie, de la guerre, de ses parents, des ses amours, de choses futiles et de pensées essentielles. Des heures et des heures de conversation, jusqu’en 1999. Alan est emporté par un cancer.

De 2000 à 2008, Emmanuel Guibert nous raconte donc la vie du GI Alan Ingram Cope. Trois volumes en tout et une belle reconnaissance dans le milieu de la BD et au-delà. Mais l’auteur ne s’arrête pas là. « Dès le début… », explique-t-il en 2012 à Morgan Di Salvia pour le site ActuaBD, « j’ai su que je raconterais toute sa vie. L’effet d’optique, c’est que « La Guerre » est sortie en premier lieu. Je n’ai pas annoncé la couleur en disant qu’il y aurait d’autres choses après. Donc, la plupart des gens pensaient que je faisais un récit de guerre. À l’époque, je savais déjà qu’il y aurait L’Enfance et L’Adolescence« .

En 2012 sort la préquelle L’enfance d’Alan dans laquelle Emmanuel s’attache à retranscrire les souvenirs d’enfance de son ami. Il nous offre par la même occasion un fabuleux témoignage sur la vie quotidienne aux Etats-Unis avant-guerre.

© L'Association / Guilbert

© L’Association / Guilbert

Dans Martha et Alan enfin, l’auteur se penche sur la première histoire d’amour de son ami. Son prénom est Martha. Alan la rencontre à l’âge de 5 ans. Ensemble, ils partagent pendant quelques années des moments joyeux avant que les liens ne se distendent. La mère d’Alan décède. Son père se remarie avec une jeune femme de 20 ans qui entreprend d’éponger les dettes de son nouveau mari. Nous sommes au coeur de la Grande Dépression. Un moment très difficile pour Alan et sa famille. Juste avant de partir pour la guerre, le jeune homme revoit Martha, le temps d’apprendre qu’elle a attrapé la polio.

Avec un trait vaporeux comme les souvenirs et des dessins en double page sans cases, sans bulles, Emmanuel Guilbert nous embarque avec beaucoup de justesse, d’émotion et un brin de nostalgie dans cette nouvelle tranche de vie. Un véritable hommage à l’ami Alan en même temps qu’un fabuleux témoignage sur l’Amérique du XXe siècle !

Eric Guillaud

Martha et Alan, d’Emmanuel Guibert. Editions L’Association. 23 €