Peut-on échapper à sa condition ? C’est la question que pose ce très bel album paru aux éditions Casterman, signé Ozanam pour le scénario et Lelis pour le dessin. Et peut-on notamment échapper à sa condition de gueule noire dans la France des années 1900 ?
Marcel, le personnage central, est une gueule noire ou du moins l’enfant d’une gueule noire. Et comme tout enfant de gueules noires vient le jour où lui aussi doit descendre. Mineur de père en fils. Tel est son destin. Mais Marcel rêve d’une autre vie. Direction Paris où il enchaîne les petits boulots, trimant comme un fou pour se payer une chambre minable et s’écrouler le soir venu, le corps complètement meurtri. Certes, Marcel n’est plus sous terre mais il reste une bête de somme, un esclave. « J’ai quitté un enfer sous terre pour un autre à ciel ouvert« , se plaint-il. « Tu es né dans la boue. C’est ta condition » lui rétorque-t-on. Loin de se résoudre à l’évidence, Marcel rejoint une bande de révolutionnaires, « des mecs qu’avaient la dérive en point commun« . Ensemble, ils vont changer le monde, du moins vont-ils essayer…
Noir, magnifiquement noir. Dans le fond comme dans la forme. Le Brésilien Lelis et le Français Ozanam, qui avaient déjà travaillé sur un projet commun très différent sur le plan du scénario comme du dessin, Last Bullets, signent ici une oeuvre très réussie, un plongeon sans ménagement dans le monde de la mine et des bas-fonds de Paris au début du XXe siècle. Ça grouille de malfrats et d’exploiteurs en tout genre, ça pue la misère et la maladie, l’issue est sans espoir, mais c’est graphiquement sublime et scénaristiquement taillé au cordeau. Il y a du Germinal dans ces pages, du Germinal et quelque chose aussi de très contemporain, universel. La misère est universelle. Marcel pourrait s’appeler aujourd’hui Yacoub ou Fathi, venir de Syrie ou de Lybie.
Le scénariste Ozanam, qui habite dans le nord de la France explique la genèse de cette histoire sur le blog d’Oncle Fumetti « Gueule noire regroupe plusieurs thèmes que je voulais aborder. À l’époque (il y a 8 ans), il n’y avait pas de BD sur la mine. Et vivant dans le nord, je baignais dans une culture propice. Un jour, en travaillant à la médiathèque de Roubaix, je suis tombé sur une revue spécialisée sur la mine. Dedans, il y était question d’une grève au début du 20ème siècle. Du coup, j’ai emprunté plusieurs numéros… Puis, je suis rentré en contact avec un ancien mineur… En allant le voir, je lisais Le voleur de Georges Darien… Il a vu le bouquin et nous avons parlé d’une de ses grand-oncles qui avait fuit le Nord, espérant faire fortune à Paris. Là bas, il s’était trouvé une conscience politique. Et lors d’une manifestation, il avait rencontré le sabre d’un dragon. Donc hop, j’ai commencé à écrire une histoire de mineurs, de condition sociale et d’anarchie… »
Un véritable coup de coeur !
Eric Guillaud
Gueule noire, de Lelis et Ozanam. Editions Casterman. 18 €
Pour aller plus loin, lisez l’interview d’Antoine Ozanam sur le blog d’Oncle Fumetti