Le monde de Baru, c’est celui du petit peuple, celui qui trime toute sa vie sans parvenir à boucler une seule fin de mois, celui qui traîne le poids du passé dans des valises en cuir limé, un peuple de déracinés, d’immigrés, d’exploités…
Non seulement, Baru, Hervé Barulea de son vrai nom, vient de ce monde-là mais il le met en images depuis ses toutes premières planches. Quéquettes Blues, Les années Spoutnik, L’Autoroute du soleil, Cours camarade!, Fais péter les basses Bruno, L’Enragé… à chaque fois, Baru imagine des personnages de fiction plus vrais que nature, des super héros de la vie ordinaire, des exclus du système, des gars et des filles qui rêvent d’une vie meilleure mais se heurtent à la froide réalité d’une France pas aussi accueillante et généreuse qu’on le prétend…
Le silence de Lounès s’inscrit dans la continuité des albums précédents même si, cette fois, ce n’est pas le bassin sidérurgique lorrain qui sert de décor mais les chantiers navals de Saint-Nazaire. Nouredine et Gianni, deux gamins de l’immigration grandissent à l’ombre des immeubles de la reconstruction avec pour unique perspective un emploi dans la construction navale. Comme leur père respectif ! Mais en grandissant, Nouredine supporte de plus en plus mal de devoir « ramper devant ces salauds de Français ». Il reproche à son père de ne pas s’être impliqué aux côtés du FLN pendant la guerre d’Algérie et d’avoir traîné toute la famille en France pour « continuer à faire l’esclave ». Les mots sont durs, les reproches amers et le silence du père, Lounès, trompeur. Car son passé est loin de ressembler à ce qu’imagine Nouredine…
Une histoire de filiation en même temps qu’une fresque sociale, Le silence de Lounès est un récit à la Baru, tendre et humain, magnifiquement mis en images par Pierre Place qui a précédemment dessiné Au rallye chez Warum et Celle qui réchauffe l’hiver chez Delcourt. Une petite douceur dans un monde brutal !
Eric Guillaud
Le Silence de Lounès, de Baru et Pierre Place. Editions Casterman. 20 euros
(en librairie le 27 novembre)