15 Jan

Ô dingos, ô châteaux, de Jean-Patrick Manchette, adapté par Jacques Tardi. Editions Futuropolis. 19 euros.

Ô dingos, ô châteaux! est la troisième adaptation par jacques Tardi d’un roman de Jean-Patrick Manchette, son ami décédé en 1995. Il y eut d’abord Le Petit bleu de la côte ouest, réédité en 2009 par Futuropolis, La Position du tireur couché publié en 2010, toujours par Futuropolis, et donc ce récit un peu dingo, un peu château aussi, troisième pierre d’un édifice que Jean-Patrick Manchette baptisera lui-même de « néo polar » et qui recevra, comme nous le rappelle Claude Guérif en préface, le Grand Prix de Littérature Policière en 1973.

L’histoire ne commence pas dans un château, comme pourrait le laisser croire le titre, mais dans un immeuble. Un immeuble chic tout de même plus proche de l’hôtel particulier que du HLM. C’est là, au troisième étage, que Julie Bellanger, tout juste sortie d’une clinique psychiatrique, logera dorénavant pour s’occuper du jeune neveu de Michel Hartog, le propriétaire des lieux. Michel Hartog est un industriel très riche et étrangement philanthrope, capable de choisir une épileptique pour cuisinière, un manchot pour jardinier, une aveugle pour secrétaire et donc une déjantée, pyromane et voleuse à ses heures, pour nouvelle nurse. Mais Julie n’aura pas le temps de se familiariser avec son nouvel emploi. Elle et le fameux neveu vont avoir à faire à un certain Thompson, un tueur à gages chargé de liquider le gamin. Ca commence par un kidnapping, se poursuit en course-poursuite infernale à travers la France et s’achève dans un effroyable bain de sang quelques part dans un château…

Pas de surprise, l’adaptation de Jacques Tardi est un régal pour les yeux et pour la tête. L’histoire est sombre à souhait, les personnages absolument désespérés, parfois désespérants, l’atmosphère des années 70 parfaitement reconstituée, les décors très détaillés et documentés, et le trait du maître, comme toujours, absolument génial ! Un bonheur… E.G.
Une interview réalisée par l’éditeur Futuropolis

09 Jan

Les Cahiers russes, d’Igort. Editions Futuropolis. 22 euros.

Après Les Cahiers ukrainiens, voici Les Cahiers russes et un témoignage ou plus exactement un regard percutant porté sur la guerre du Caucase à travers le combat d’une femme d’exception, Anna Politkovskaïa. Souvenez-vous, cette militante des droits de l’homme et journaliste a été assassinée à Moscou le 7 octobre 2006. Tout simplement parce qu’elle dérangeait le pouvoir en place, celui de Poutine, en refusant les vérités préfabriquées. A l’époque, comme beaucoup,  Igort avait été choqué. « Une lumière importante pour la conscience russe s’est éteinte pour toujours le 7 octobre 2006 », écrit-il, « La brutalité d’une démocratie d’apparence, à laquelle les soviétologues ont donné le nom de Démocrature, a parlé ».

Trois ans après les faits, l’auteur part sur les traces de cette journaliste et se retrouve à l’endroit précis, dans l’ascenseur de son immeuble, où elle a été tuée. Pendant deux ans, il voyage entre l’Ukraine, la Russie et la Sibérie pour essayer de comprendre. Comprendre ce qu’avait été l’Union soviétique, ce qu’il en reste aujourd’hui. Comprendre aussi pourquoi une femme comme Anna Politkovskaïa pouvait être aussi lâchement assassinée. Et de meurtres en séances de torture, de bombardements intensifs en massacres organisés, de viols en humiliations diverses, d’arrestations arbitraires en menaces de mort, Igort brosse le portrait d’une Russie contemporaine impitoyable, arbitraire et violente. Il nous permet dans le même temps de mieux connaître Anna Politkovskaïa, de découvrir son combat pour la vérité, pour la liberté, ses liens avec l’agent secret russe Alexander Litvinenko, empoisonné au polonium et mort lui aussi en 2006, ou encore son rôle de médiatrice dans la prise d’otages au théâtre Doubrovska par un commando tchétchène en 2002. Un album étonnant dans sa forme, essentiel dans le fond, à découvrir très vite ! E.G.

Découvrez le blog d’Igort

06 Jan

David, les Femmes et la mort, de Judith Vanistendael. Editions Le Lombard. 25,50 euros.

Le choc ! David vient d’apprendre qu’il a un cancer du larynx supraglottique. De type T3N26Mo. Son médecin est formel : il peut s’en sortir ! Mais pour l’instant, David doit l’annoncer à sa femme et à ses deux filles. Pas facile d’autant qu’un heureux événement est attendu. Il va être grand-père. Une petite Louise. La vie, la mort… Pour lui, l’important est maintenant de profiter du moment, des siens, de sa fille cadette Tamar, 9 ans seulement. Faire comme si tout allait bien, supporter les séances de chimio et de radiothérapie, s’offrir quelques jours de répits, pêcher sur un lac, respirer, ne pas se plaindre… Silence ! Mais la maladie est là. Malaise, hôpital, chambre stérile, opération… et la mort au bout du couloir !

Après La Jeune fille et le nègre qui narrait l’histoire d’amour entre une jeune Belge et un réfugié politique togolais (sélection officielle Angoulême 2009), la Bruxelloise Judith Vanistendael nous offre un roman graphique extraordinaire de justesse et d’émotion sur un sujet pourtant extrêmement difficile : la maladie et la mort. « Je voulais raconter ce moment dans la vie, cette impuissance que l’on ressent tous, un jour, face à la mort. C’est aussi un livre sur le silence », confie-t-elle. De fait, ses protagonistes féminins, en plus d’être confrontés à la maladie de David, doivent supporter ses silences… « Chacun, seul, dans son cocon de tristesse », regrette l’épouse de David. En 280 planches, toutes réalisées à l’aquarelle, toutes sublimes, Judith Vanistendael explore une nouvelle fois l’invisible, l’intime, avec beaucoup de délicatesse, une touche de poésie et un sens de la tragédie exceptionnel. Magnifique ! E.G.

Sortie prévue le 13 janvier

04 Jan

Le Château des ruisseaux, de Poincelet et Bernière. Editions Dupuis. 14,95 euros.

Des années d’errance et de souffrances, de petits et grands larcins, de mauvaises rencontres, de shoots dans des endroits sordides… et puis, un jour, un type qui meurt devant lui d’une overdose sur la cuvette en plastique d’une sanisette de la ville de Paris. C’en était trop ! Jean le toxico pensa un moment au suicide avant de se décider, finalement, à franchir la porte du Château des ruisseaux. Dans ce centre de traitement des addictions situé du côté de Soissons, on privilégie l’abstinence, l’entraide et la thérapie de groupe qui permet de travailler sur les émotions. Afin que les patients ne s’isolent pas, les walkmans, la télévision, les livres et même les relations amoureuses sont strictement interdits. Et ça semble marcher ! Pour certains du moins. Jean qui se croyait « junky un jour, junky toujours » comprend qu’un autre chemin est possible. Bientôt, comme les toxicos qui l’ont accueilli à son arrivée, il pourra s’enorgueillir d’être resté clean plusieurs jours. Le seul souci pour lui sera d’ordre sentimental. Jean est amoureux de Marie, arrivée le même jour que lui…

Pour son premier scénario de bande dessinée, Vincent Bernière, ancien addicte aux drogues, aujourd’hui directeur de collection aux éditions Delcourt, décrit avec un grand réalisme le long et douloureux processus qui attend les toxicos désireux de se sortir de la drogue. Et le résultat est aussi fort et utile qu’un documentaire audiovisuel ou cinématographique grâce notamment au fantastique travail graphique de Frédéric Poincelet, éternel agitateur du dessin contemporain, grand explorateur de l’intime, qui en supprimant le découpage traditionnel en vignettes invite véritablement le lecteur à toucher du doigt les douleurs, les doutes et les espoirs des protagonistes, tout en lui évitant une sensation de voyeurisme. Un témoignage essentiel ! E.G.