Se battre pour ne pas devenir comme eux, pour afficher une normalité rassurante, pour espérer sortir… peut-être un jour. Mais sortir de cet endroit est beaucoup moins facile que d’y entrer ! Aline, 17 ans, va très vite le comprendre. Internée dans le service psychiatrique de l’Hôpital Sainte-Anne à la suite d’une tentative de suicide, la jeune fille découvre un univers qu’elle n’imaginait même pas. Des couloirs vides et sans fin, des réfectoires et des chambres sans âme, des silences interminables soudainement rompus par les cris de ces malades, parfois lourdement atteints, qui déambulent dans leur pyjama en attendant… que le temps passe. Bien qu’assommée par les médicaments, Aline reste lucide, écrivant son ressenti. « J’ai eu un pyjama bleu mais pas d’entonnoir », confie-t-elle. Pas d’entonnoir et une peur bleue comme son pyjama de devenir folle, vraiment folle. « C’est difficile de s’affranchir d’une histoire », écrit-elle. Une mère qui se suicide, un père qui perd pied et menace de mettre fin à ses jours, une grand-mère qui fait ce qu’elle peut… et pour Aline, une vie qui aurait pu basculer définitivement…
Dès les premières pages, Sous l’entonnoir nous rappelle un autre album de la même veine. Il s’agit de La Parenthèse d’Elodie Durand qui a remporté le prix Révélation 2011 au Festival international de la bande dessinée. Comme Elodie Durand, Sibylline raconte ici un épisode totalement dramatique de sa vie, une épreuve qu’elle a réussi à surmonter, « l’histoire d’une fille qui trébuche et qui repart », résume la dessinatrice Natacha Sicaud. C’est en récupérant son dossier médical quinze ans après cette sinistre expérience que lui vient l’idée de raconter son histoire en BD, une démarche pas toujours facile, reconnaît-elle, mais peut-être nécessaire. « Quand l’écriture du scénario s’est achevée, j’ai eu une immense bouffée de panique, sur ma légitimité à parler de tout ça. De l’hôpital, des traitements, des patients. J’ai pris rendez-vous, pour récupérer mon dossier. Le temps passant, les événements sont moins vifs, et tout à coup, ça me paraissait assez banal, bien trop intégré. Se replonger dans cet endroit le temps d’une après-midi, se sentir touriste curieuse alors que j’avais fait partie des murs pendant quelques semaines, c’était assez déconcertant […]. Quant au partage, la perspective de faire lire, oui, ça a été un questionnement difficile. Mais aujourd’hui, c’est comme si c’était quelqu’un d’autre que moi qui est raconté. C’est certainement pour ça que j’ai choisi de l’appeler Aline plutôt que Sibylline ». Pour mettre son histoire en images, Sibylline a fait appel à Natacha Sicaud, transfuge de l’illustration jeunesse, auteure notamment de J’ai vu une fée sur un vélo chez Nathan ou de L’Arbre qui chante chez Hatier. Avec son trait direct et expressif, ses décors minimalistes, sa représentation des malades et des soignants très travaillée, très documentée, et ses couleurs froides, Natacha Sicaud colle parfaitement au sujet ! Une autobiographie prenante et émouvante ! E.G.