Une chose est certaine, si Benjamin Flao et Christophe Dabitch décidaient subitement de m’offrir une planche de leur album, comme ça, simplement pour le plaisir d’offrir, non seulement je ne la refuserai pas mais encore je l’encadrerai et lui réserverai le plus bel espace de mon salon. C’est que les deux albums de Mauvais garçons, parus à un mois d’intervalle – le premier est sorti le 8 octobre et le second est attendu pour le 5 novembre - sont tout simplement des petits bijoux qui démontrent, si besoin est encore, que la bande dessinée est un art à part entière avec ses propres codes, ses propres univers, ses propres émotions, et que le tout est souvent difficilement transposable, ne serait-ce qu’au cinéma. Comme on peut le vérifier régulièrement et même très récemment encore ! Après La Ligne de fuite, le scénariste Christophe Dabitch et le dessinateur Benjamin Flao se retrouvent donc autour d’un nouveau projet qui aborde la solea, un chant flamenco qui parle bien entendu d’amour, souvent contrarié, plus souvent de peines de coeur, de pauvreté, d’injustice… Et plus qu’une simple passion ou un passe temps, la solea est quelque chose qu’on a dans la peau comme peuvent l’avoir les deux personnages principaux de cettte histoire, deux « mauvais garçons » prénommés Manuel et Benito. Le flamenco, ils le vivent mais n’en vivent pas. Inséparables dans les galères le jour comme dans les moments de grâce, à chanter et danser la nuit, Manuel et Benito le resteront jusqu’au jour où l’un et l’autre rencontreront l’amour, cet amour qui leur paraissait tellement improbable, tellement inaccessible…
Ces albums qui respirent au rythme du flamenco, libèrent de chaque vignette, de chaque page, une sensation à la fois de virilité et de sensualité. Mauvais garçons n’a pourtant pas été écrit, ni même dessiné, par des Espagnols. L’un et l’autre sont français mais Christophe Dabitch s’est inspiré de ses propres rencontres à Séville.« Je suis souvent allé dans un petit village au sud de Séville, Utrera, qui est l’un des foyers de ce chant… », confie le scénariste, » J’ai un ami qui vit là-bas. Il est chorégraphe et a fait des recherches en musicologie sur le flamenco. Il se nomme Manuel, sa famille est originaire du village, mais il a vécu en France avant de revenir s’y installer. Nous nous sommes rencontrés à ce moment-là, voilà une dizaine d’année. Il a un vieil ami gitan qui se nomme Benito, un chanteur et un personnage hors norme […] J’avais envie d’écrire sur eux et sur le flamenco à travers eux, sur une forme de correspondance entre une expression artistique et la vie. J’aime leur approche du chant, leur côté mauvais garçons aussi, en dehors des clous ». Côté graphisme, Benjamin Flao a laissé glisser ses crayons sur la page, d’un trait jeté, nerveux, brut… viril quoi ! Et sensuel. »Il paraît que l’on me surnomme l’homme crayon, capable de tout dessiner. Ca, c’est un surnom à finir dans une fête foraine, entre l’homme tronc et la femme à barbe ! […] Pour Les Mauvais garçons, le plus gros écueil, bien sûr, était la représentation de la musique et du chant. En BD, quoi qu’on fasse, on est muet. Comment rendre le son, l’intensité du flamenco ? On n’est jamais très loin du ridicule. » Et pourtant, le miracle est bien là. Mauvais garçons nous plonge au coeur du Flamenco et on se surprend à avoir la musique dans la tête tout au long de l’album. C’est beau, c’est fort, chaque planche nous entraîne loin, très loin. Mauvais garçons est l’histoire de deux Espagnols épris de musique mais c’est aussi quelquepart l’histoire de l’humanité car, dans le flamenco, comme dans ce récit, il y a quelque chose d’absolument universel ! E.G.
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