Après HP Lovecraft et Edgar Allan Poe, le grand prix Angoulême 2018 Richard Corben s’est aussi logiquement attaqué en 1975 à l’adaptation d’une œuvre du créateur de Conan le Barbare, Robert E. Howard. Le résultat est un Bloodstar crépusculaire, aujourd’hui enfin réédité plus de quarante ans après une première édition française dans la collection Métal Hurlant.
Par contre, soyons clairs : même si c’est le nom de Howard qui l’on voit en premier sur la couverture, nous avons bien affaire ici à une œuvre avant tout dominée par Corben. Certes, dans les cas de Poe et Lovecraft, il avait approché le corpus avec révérence, mettant son art avant tout au service des textes originaux, véritables monuments de la littérature fantastique de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Or dans le cas de Bloodstar, et plus précisément de la nouvelle qui l’a inspiré La Vallée du Ver parue initialement en 1934, c’est comme si, à l’inverse, il avait décidé de s’attaquer volontairement à une œuvre mineure et peu connue afin de mieux la modeler à sa guise.
Après, il n’avait pas trop le choix non plus, vu que les éditions MARVEL avait déjà racheté (cher) les droits des personnages les plus connus de Robert E. Howard, en premier lieu Conan bien sûr mais aussi Kull… Cela dit, les thèmes étaient taillés pour lui : après un cataclysme qui a ravagé le globe, la Terre est revenue à l’état sauvage, les survivants étant revenus à une sorte d’âge de pierre, vivant désormais en tribu. Sur son lit de mort, un vieil homme raconte l’histoire de Bloodstar, homme banni par les siens pour avoir osé aimer une femme qui ne lui était pas destinée mais qui, pourtant, décide les sauver de l’extinction.
En soit, cette histoire contient la quintessence de ce qui a toujours été le fil directeur de nombreuses histoires de Corben : un héros solitaire, un destin tragique et solitaire auquel il ne peut se soustraire, la lâcheté des hommes, la transmission etc. En fait, le dessinateur a tellement retravaillé et tellement imprégné de son style l’histoire originale, aussi bien sur le plan graphique qu’en terme de dramaturgie, que la ‘patte’ pourtant en général assez imposante de Robert E. Howard s’efface très vite, lui laissant ainsi toute la place et lui permettant d’accoucher d’un roman graphique avant l’heure de haute volée.
Bloodstar est donc du pur Corben, superbement servi ici par un travail de reproduction aux petits oignons, mettant plus que jamais tous ses jeux d’ombres et de lumière qu’il affectionnait tant grâce à un noir et blanc classieux. Même lorsque le tout bascule dans l’horreur cosmique, le récit est toujours porté par une espèce de souffle quasi-hollywoodien, surtout dans les pages en préambule où il décrit l’agonie du globe. Oui, du grand Corben, dans une grande édition, encore une fois grâce aux éditions Delirium qui continue avec sérieux de réhabiliter en France depuis 2013 ce grand maître la bande dessinée américaine d’après-guerre.
Olivier Badin
Bloodstar, de Richard Corben & Robert E. Howard. Delirium. 25€