05 Oct

Le coin des mangas : One Piece, Lucja, L’école emportée, Terrarium, L’Île aux escaliers, Shadows House, 100 Jours avant ta mort, Réimp’…

On en parle beaucoup en ce moment avec la sortie du tome 99 en version simple et collector, c’était le 15 septembre dernier, on en parlera encore beaucoup d’ici la fin de l’année avec la sortie du tome 100 annoncé pour le 8 décembre, la série du Japonais Eiichiro Oda continue son ascension dans le top One du manga le plus lu et le plus connu sur la planète Terre et peut-être au-delà. Plusieurs centaines de millions d’exemplaires vendus à travers le monde, un univers unique, un mélange d’aventure, de fantastique et d’humour, et un héros baptisé Lufy qui rêve de devenir le roi des pirates (One Piece, 99 tomes parus, de Eiichiro Oda. Glénat. 6,90€)

Étonnant manga que celui-ci, Lucja, c’est son nom, c’est aussi le nom de l’héroïne, se déroule en Pologne, oui oui, au XVe siècle dans un univers qui relève à la fois du médiéval et du steampunk, où se côtoient chevaliers en armure et automobiles, châteaux forts et machines à vapeur, folklore populaire et costumes traditionnels slaves. Sur cette terre de chevaliers, d’acier et de vapeur, la jeune Lucja combat pour le titre de roi-chevalier à la force de ses poings d’acier mus par la puissance… de la vapeur bien sûr. (Lucja, tome 1, de Coji Inada. Vega Dupuis. 8€)

Changement de décor et d’univers avec L’École emportée du mangaka  Kazuo Umezz. Considéré comme son chef d’oeuvre, il est ici proposé dans une nouvelle édition en six tomes, deux sont d’ores et déjà disponibles. L’histoire : la disparition brutale d’une école primaire et de tous ses occupants mystérieusement projetés dans un monde désertique. Plus de maisons, plus de routes, plus personnes, plus une trace de l’ancien monde. Sidérés, choqués, les adultes se sont tous suicidés laissant les enfants à leur triste sort. Tous suicidés sauf un, le professeur Wakahara qui s’est donné pour objectif d’éliminer chaque enfant… Pour ceux qui aiment les récits d’horreur. (L’Ecole emportée, tome 1, de Kazuo Umezz. Glénat. 10,75€)

Le jeune Nanakusa habite une île de 2000 habitants coupée du reste du monde et traversée par un escalier, immense. Tous les matins, il doit l’emprunter pour rejoindre l’école. Mais l’escalier continue encore plus loin, encore plus haut. On dit qu’il mène à la maison d’une sorcière que personne n’a jamais vue. de quoi donner des envies de fuite à certains. Mais pour quitter l’île, les candidats à l’exil doivent d’abord trouver ce qu’ils ont perdu en arrivant ici-même. Une belle énigme à résoudre. En attendant, Nanakusa, lui, n’a pas vraiment envie de partir, surtout depuis l’arrivée de la belle Yû Manabe…  (L’ïle aux escaliers, tome 1, de Yutaka Kono et Ai Uzuki. Delcourt/Tonkam. 7,99€)

Manga repéré par les libraires français lors d’un voyage au Japon organisé à l’occasion des 50 ans de la maison d’édition, Terrarium est un petit bijou graphique et poétique qui nous embarque dans un monde en ruine, dévasté par la guerre, où déambule un tandem bien étrange, Chico, technologue d’investigation, et son petit frère Pino. Tous les deux explorent ce monde ou du moins ce qu’il en reste, une succession de colonies délabrées où les robots poursuivent inlassablement leurs tâches, ici soigner des êtres humains réduits à l’état de squelettes depuis longtemps, là distribuer du courrier à des destinataires qui ne sont plus en état de lire quoi que ce soit. L’auteur, Yuna Hirasawa, expliquait en post-face du premier volet paru en juin répondre ici à certaines des interrogations qu’il avait à l’adolescence. Qu’est-ce qu’être humain ? Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que je suis ? Tout un programme. (Terrarium, 2 tomes parus, de Yuna Hirasawa. Glénat. 7,60€)

Vous rêvez de devenir mangaka comme à peu près le quart de la population planétaire ? Alors, cette nouvelle série baptisée Réimp’ et dont le premier volet vient tout juste de sortir est faite pour vous. Non seulement, il s’agit d’un manga dans la forme mais il parle du manga dans le fond avec une héroïne, Kokoro Kurosawa, judoka obligée de changer de métier à la suite d’une blessure, prête à tout pour se faire embaucher dans une maison d’édition. Libraires, graphistes, éditeurs, commerciaux, mangaka… C’est tout un univers qu’elle découvre et nous fait découvrir par la même occasion. En bonus, un entretien avec Quentin Gratpanche, responsable commercial pour les éditions Glénat. Il explique les différences entre la France et le Japon en matière d’édition et de commercialisation des mangas. Judicieux !(Réimp’!, tome 1, de Naoko Mazda. Glénat. 7,60€)

Une atmosphère victorienne gothique sophistiquée et un graphisme de caractère qui se démarque de la production classique, Shadows House du duo So-ma-to, Nori au scénario et Hisshi au dessin, s’affirme dès le départ comme une série à part. Et côté histoire, c’est la même chose, So-ma-to nous ouvre les portes du manoir de la famille Shadow avec une petite particularité : ses membres n’ont pas de visages et pallient cet état de fait en employant des poupées vivantes chargées de les servir et d’interpréter leurs émotions. Emilico est la poupée vivante de la jeune Kate Shadow. Tout juste arrivée à son service, elle doit apprendre à répondre à ses envies et à refléter sa personnalité. En attendant, elle frotte la suie que le vidage de sa jeune maîtresse laisse un peu partout dans la chambre… Faut-il mieux être que paraître ? Shadows House est un petit bijou de mystère et de douce réflexion. Le tome 6 vient de paraître… (Shadows House, 6 tomes parus, de So-ma-to. Glénat. 7,60€)

On termine avec le 4e volet de 100 Jours avant ta mort. Taro a un pouvoir : celui de visualiser un décompte sur tous les êtres vivants à qui il reste moins de 100 jours à vivre. Et c’est justement le nombre de jours qui s’affiche devant Umi son amie d’enfance à qui il vient de déclarer sa flamme. Un macabre compte à rebours qu’ils vont ensemble tenter de stopper. Comment augmenter l’espérance de vie de sa bien aimée ? Tout simplement en lui faisant battre son coeur… Mignon !  (100 jours avant ta mort, 4 tomes parus, de Migihara. Glénat. 7,60€)

Eric Guillaud

04 Oct

Ces prisonniers qui ont dit non à l’Amérique raciste et qui en ont payé le prix fort

Il y a cinquante ans tout juste, lassés de leurs conditions de détention inhumaines, les prisonniers de la prison d’Attica sur la côte est américaine se sont mutinés. Une révolte réprimée dans le sang racontée ici d’une façon presque documentaire…

Il faut remettre les choses dans leur contexte. En 1971, aux États-Unis, le Summer Of Love n’est déjà plus qu’un lointain souvenir, Richard Nixon est au pouvoir, le pays est encore embourbé dans la guerre du Vietnam et le racisme au pouvoir dans de nombreux endroits, particulièrement dans le sud. C’est pour toutes ces raisons que l’histoire de la révolte de la prison d’Attica dans l’état de New York est aussi symbolique.

Sur 2300 détenus, 1600 sont noirs. Mais tous vivent dans des conditions exécrables, sous la coupe de gardiens brutaux et ouvertement racistes. Un volcan prêt à exploser, ce qui finit par arriver le 9 Septembre. Suite à des rumeurs de torture sur des prisonniers, une révolte éclate et quarante-deux gardiens et employés sont alors pris en otage. Les demandes des mutins ? Ne plus être traités comme des bêtes, avoir accès à des soins dignes (ils n’avaient droit alors qu’à une douche par semaine !) ou à l’éducation etc. Ils réussissent même à s’autogérer, sans violence. Malgré tout, le gouverneur de l’état, qui vise à se présenter à l’élection présidentielle, donne l’autorisation à l’armée de donner l’assaut au bout de quatre jours de négociation.

Le bilan est terrible : trente-neuf morts, dont vingt-neuf prisonniers. Sur le coup, la police prétend que tous ont été victimes des rebelles mais l’enquête confirmera, bien plus tard, que tous ou presque sont en fait morts sous les balles des militaires. Le scandale est énorme, mettant la prison au cœur du débat publique, suscitant des manifestations à travers le pays et inspirant de nombreux artistes, du saxophoniste Archie Shepp (l’album Attica Blues) à John Lennon (‘Attica State’) tout en devenant un symbole pour les militants pour les droits civiques.

© Panini Comics / Reinmuth & Améziane

C’est cette histoire, sous la forme d’un roman graphique très documenté et centré sur le personnage de Frank ‘Big Black’ Smith qui est racontée ici. Sans fioriture, à la limite de l’austérité car centré sur de longs dialogues en gros plans mais d’une dureté assez étonnante car terriblement réelle.

Le récit est essentiellement raconté du point de vue de Smith, prisonnier à Attica en charge de la sécurité au sein des mutins et dont le calme impérial est à l’exact opposé de son physique de colosse dont il a tiré son pseudonyme. Le tout commence par la fin en quelque sorte avant de remonter le temps d’une façon quasi-documentaire, crue et franchement violente. Les mauvais traitements, les insultes ou encore le cynisme absolu des autorités… Rien n’est épargné au lecteur.

Même les choix de couleurs – une sorte de noir et blanc jauni où surgit parfois le rouge lorsque la violence explose – semblent souligner à leur façon le côté oppressant et désespéré de la situation. Difficile d’ailleurs de ne pas faire un parallèle entre ce qui s’est passé sous Nixon et, quasiment cinq décennies plus tard, la résurgence de la haine raciale sous l’administration Trump. Avant tout une leçon d’histoire qu’une bande dessinée mais une leçon coup de poing, pas si lointaine de nous que ça.    

Olivier Badin

Big Black – Stand At Attica de Jared Reinmuth & Améziane, Archaia/Boom Studios/ Panini Comics. 19,95 euros.

02 Oct

Kill Annie Wong, La Falaise, Debout les morts, Bangalore, René.e : la belle rentrée des éditions Sarbacane en cinq albums

Chez Sarbacane, on prend le temps de faire des livres, on prend le temps de les penser, de les fabriquer, de les peaufiner. On aime les histoires, on aime aussi l’objet. La rentrée 2021 ? Plus d’une vingtaine de livres entre août et septembre, parmi lesquels sept bandes dessinées. En voici cinq qui ont attiré notre regard et titillé notre imaginaire…

On commence avec René.e aux bois dormants, un magnifique album de 272 pages signé Elene Usdin, artiste française qui a débuté comme peintre pour le cinéma et illustratrice de presse et de livres jeunesse. René.e est son premier roman graphique. Il s’en dégage une atmosphère très particulière, un univers très coloré, très créatif où le quotidien le plus sombre côtoie le surnaturel le plus débridé. Aux origines du récit, ce qu’on appelle au Canada la rafle des années 60 : l’enlèvement de milliers d’enfants autochtones à leur communauté d’origine pour les faire adopter par des familles des classes moyennes blanches. 

René est l’un d’eux. Il a dix ans, a été adopté, habite au dixième étage d’un immeuble dans une grande ville. Il ne ressemble pas à sa mère, les enfants de son âge le rejettent. Ils disent qu’il a été acheté. Alors, René se laisse happé par les rêves. En pyjama, il part à la recherche de sa peluche Sucre Doux qui s’est enfui. Les rêves l’entraînent dans un univers peuplé d’étranges créatures au contact de qui il se métamorphose lui-même, devenant tour à tour fille, chatte ou arbre. Et peu à peu, page après page, rencontre après rencontre, la déambulation de René révèle le drame qu’il a vécu. Un voyage entre mythe et réalité. (René.e aux bois dormants, d’elene Usdin. 29,50€)

Il s’appelle Enzo, comme le héros du Grand bleu, sauf que lui ne fait pas dans la plongée en apnée. Non, son truc, c’est plutôt le dézingage. Enzo est tueur à gages, il fait son boulot avec sang-froid, efficacité et en musique s’il vous plait. Toujours le même morceau, toujours la même voix d’une mystérieuse chanteuse. Et il est connu pour ça dans toute la mégalopole coréenne de Chogsu Siti. Mais son dernier contrat ne va pas se passer comme prévu.

Contacté par le chef de la police locale, Enzo est chargé de déstabiliser Mon-Sik, une espèce de mafieux qui souhaite se présenter à la mairie. Et pour le déstabiliser, rien de mieux que de s’en prendre à sa petite amie, une cantatrice célèbre du nom d’Annie Wong. Rien de bien sorcier pour Enzo sauf qu’au moment de passer à l’acte, il comprend que la voix qui passe en boucle dans sa tête, c’est celle de cette femme… Un thriller brillant et original, emmené par le superbe trait de Gaël Henry, auteur par ailleurs de Jacques Damour ou Tropique de la violence également aux éditions Sarbacane (Kill Annie Wong, de Meralli, Henry et Bona. 24€)

Vous avez aimé Bangalore en noir et blanc ? Alors vous adorerez Bangalore en couleurs. Et si vous ne connaissiez pas Bangalore, alors c’est le moment de le découvrir. L’album de Simon Lamouret sorti en 2017 chez Warum rejoint les éditions Sarbacane avec une splendide réédition en couleurs. Tout y est, le trait précis de l’auteur, les planches aux mille détails, l’humour dans toutes le cases ou presque et l’âme de cette mégalopole de près de 9 millions d’habitants, oui tout y est, la couleur en plus.

Mais que raconte Bangalore ? L’album ne raconte pas un voyage mais une suite d’anecdotes de la vie quotidienne. Des saynètes en une ou deux pages décrivent la ville et les gens qui la font, la circulation de folie, les chargements improbables qui font vaciller motos et vélos, l‘urbanisation anarchique, les multiples petits métiers de la rue, la vie nocturne, les mariages arrangés ou encore la misère des ouvriers de chantiers. Et Simon Lamouret connaît bine tout ça puisqu’il y a habité pendant trois ans.

« J’ai arpenté cette ville et ai posé mon regard sur les interactions qui se déroulent dans la rue. Devant le spectacle des passants anonymes, de ces acteurs des trottoirs, j’ai tenté de décoder une part de l’âme indienne, sans chercher à démontrer, en regardant et en écoutant, pour retranscrire, de la façon la plus juste, ce que j’ai cru percevoir de ce peuple ».

Un somptueux album grand format avec un dos toilé rose du plus bel effet. (Bangalore, de Simon Lamouret, couleurs de Meriem Wakrim. 28€)

Attention, petit chef d’oeuvre ! Pourquoi petit me direz-vous ? Tout simplement parce qu’il s’agit ici du premier roman graphique de l’autrice et qu’on n’aurait plus suffisamment de qualificatifs pour les suivants. Laissons donc « grand chef d’oeuvre » disponible pour le prochain. La Falaise, c’est son nom, nous embarque dans le monde de l’enfance, un monde pas toujours synonyme d’innocence. D’ailleurs, Astrid et Charlotte, Charlie pour la façade, se sont jurées de quitter ce monde avant leurs 13 ans. Comment ? En sautant du haut d’une falaise. Elles n’ont pourtant pas grand-chose en commun, pas grand-chose à partager, même à l’école elles ne s’approchent pas l’une de l’autre, mais elles se retrouvent sur ce point-là : envie d’en finir, envie de sauter le pas… et « après moi le déluge ».

Manon Debaye aborde la question de l’adolescence, de l’amitié, du harcèlement et du suicide avec beaucoup de finesse dans le trait et dans le propos. Page après page, le scénario d’une limpidité exemplaire nous absorbe littéralement pour nous emmener vers la fin et nous ramener à notre propre adolescence. Un album à la fois très beau dans la forme et très cruel dans le fond, à l’image de la vie parfois. (La Falaise, de Manon Debaye. 25€)

Il nous avait ébloui avec Le Rêve de Météor Slim paru aux éditions Sarbacane en 2017 et plus récemment avec Le Peintre hors-la-loi chez Casterman, Frantz Duchazeau revient nous titiller l’imaginaire avec Debout les morts, une fantaisie purement macabre qui nous embarque pour le Mexique en compagnie d’Emiliano Zapata, non pas le fameux révolutionnaire mais son fils, qui lui aussi rêve de son heure de gloire. Jusqu’au jour où les morts de la Révolution se lèvent et marchent, prêts à en découdre avec ceux qui les ont mis dans le trou. C’est la fête des morts, la fête de Los Muertos, et ça va saigner. Fuego ! (Debout les morts, de Frantz Duchazeau. 24€)

Eric Guillaud