Non, John Byrne n’est pas que celui qui a transformé les Quatre Fantastiques et les X-Men en formidable machine à cash pour le compte de Marvel dans les années 80. Tout en endossant la double casquette de dessinateur et scénariste, il a par la suite creusé d’une façon plus personnelle le même sillon grâce à deux séries méconnues et enfin rééditées en France.
Pour resituer un peu l’importance d’un John Byrne, disons que dans la première moitié des années 80, il fut à Marvel ce que Jack Kirby – dit ‘the king of comics’ – était pour ‘la maison des idées’ à la fin des années 60. Une sorte de superstar et quelqu’un qui, sur son seul nom, transformait tout ce qu’il touchait en or. Marque de confiance absolue, à l’époque, cet américain né en Angleterre en 1950 et passé par le Canada était responsable des deux plus grosses locomotives de l’éditeur, les X-Men et LesQuatre Fantastiques. Deux séries déjà installées mais qu’il a malgré tout imprimé de sa marque, notamment en mettant l’accent sur l’aspect humain des héros. Pour lui, ces mutants et autres êtres surpuissants ont beau être capables de mille et une merveilles, ce sont aussi des personnes tombant amoureux, devenant parents, se séparant, apprenant à accepter leurs différences etc.
Après avoir joué les petites mains dans les années 70, c’est vraiment avec ses deux séries emblématiques que Byrne a donc trouvé son style, aussi bien sur le plan graphique que scénaristique… Quitte à sans s’en rendre compte s’y enfermer un peu, le reste de sa carrière se résumant à ses tentatives plus ou moins réussies de reproduire le même schéma, encore et encore. Exemple avec deux séries, disons, plus mineures, aujourd’hui réédités en France.
La plus instantanément reconnaissable des deux est Alpha Flight – ou la Division Alpha telle qu’elle avait été initialement baptisé en France lorsqu’elle est apparue dans les pages de Special Strange en 1981. Ici, l’analogie avec les X-Men est d’entrée assumée, vu que cette équipe de super-héros canadiens vient du même univers. Les lecteurs nord-américains découvrent d’ailleurs pour la première fois dans les pages de la série X-Men ces agents du gouvernement canadien lancés alors à la poursuite de Wolverine, alias Serval en VF.
Les Next Men ont, eux, eu une genèse bien plus chaotique. Â sa sortie début 92, Byrne a alors perdu son aura d’antan. La mode est désormais aux BD ultra-réalistes et violentes et son style est désormais considéré comme un peu trop daté. Après un passage chez DC Comics pour redonner vie à un Superman moribond, il doit faire appel à un éditeur indépendant pour publier cette nouvelle saga en trois volumes qui reprend, en gros, l’idée d’un groupe de mutants obligés de se battre pour leur liberté et chassés par le gouvernement. Sauf que c’est les années 90 sont là et bien là. Byrne essaye donc de s’adapter en donnant au tout un ton plus cru et désespéré, tout en abordant des thématiques bien trop délicates pour la très prude ‘maison des idées’, comme l’identité sexuelle, l’alcoolisme ou la faillite du modèle parental.
Malgré leurs différences, ces deux sagas partagent non seulement le même modèle mais aussi la même dynamique de groupe. Lorsqu’on voit Nathan des Next Men avec ses lunettes noires spéciales censées cacher ses yeux dont, sinon, peuvent jaillir des rayons, comment ne pas penser à Cyclope ? Sasquatch d’Alpha Flight est un croisement entre Hulk et Colossus des X-Men. Avec ses pouvoirs puisant dans les traditions de ces ancêtres, Shaman est reflet amérindien de la tempétueuse Ororo etc. Mais surtout, plus que jamais, Byrne s’attache à ses figures de ‘freaks’, à toutes ces personnes qui ne rentrent pas dans les cases alors qu’elles ne demandent que ça. Il est donc l’un des premiers à donner la voix à des minorités jusqu’à lors plutôt ignorées des comics, comme les gens de petite taille ou les homosexuels. Et plus le temps passe et plus leur créateur préfère s’appesantir sur leurs tourments intérieurs plutôt que sur la bonne vieille castagne contre de méchants super-vilains bien monochromes, quitte à perdre peut-être en route certains lecteurs.
Des deux, Alpha Flight reste la plus car toujours ancré dans un schéma traditionnelle, avec toujours cette alternance d’action et d’épisodes plus intimes disons. C’est aussi l’occasion pour Byrne de se faire plaisir à rendant hommage au Canada où il a vécu plus de vingt ans en ancrant souvent l’action dans ses grandes étendues sauvages. Pourtant, pointent déjà ici des thématiques qu’il creusera plus près d’une décennie plus tard avec les Next Men, notamment celle d’un gouvernement favorisant ses propres intérêts, quitte à mentir au grand public et souvent au mépris des lois.
Dix ans plus tard, cette paranoïa rampante est devenue la colonne vertébrale de son art. Si jusqu’à lors il mettait en scène des héros très chevaleresques qui sont avant tout là pour sauver le monde, Byrne change donc de braquet avec Next Men. Ces héros d’un, alors, nouveau genre ne veulent pas en être et sont pétris de psychose. Ils possèdent des pouvoirs dont ils ne veulent pas, dont ils ne savent que faire et qui les font souffrir. Pire : ces capacités hors normes sont la source de tous leurs malheurs. Dix-huit mois après le premier, ce deuxième tome (sur trois prévus) attire encore un peu plus le lecteur dans un labyrinthe scénaristique où Byrne lui-même semble par moment un peu perdu, tant le récit est cérébral et bourré de faux-semblants. Après, même si son style graphique – trop typé années 80, trop ‘propre’ – y apparaît parfois en décalage avec le ton choisi, on ne peut que saluer cette remise en question de la part d’une telle méga-star à l’époque.
Deux séries, deux visions à la fois proches et distinctes et deux occasions pour les fans de John Byrne, histoire de rentrer plus en détail dans l’œuvre de ce grand artisan des comics un peu trop ignoré de la jeune génération.
PS : pour les fans, à noter que la couverture de ce deuxième volet des aventures des Next Men est signée Frank Miller (Daredevil, The Dark Knight). Quant à l’intégrale d’Alpha Flight, on y retrouve au sommaire le grand Steve Ditko (le premier dessinateur ‘culte’ de Sperman et de Doctor Strange) pour un épisode délicieusement rétro de Machine Man où apparaissent trois des membres de l’équipe canadienne.
Olivier Badin
Next Men, Vol. 2 & Alpha Flight: L’Intégrale 1977- 1984 de John Byrne. Delirium et Marvel/Panini Comics. 26 et 35 euros.