Ils étaient étudiants dans une ville moyenne des États-Unis, ils manifestaient pacifiquement contre la guerre au Vietnam, ils ont été tués par la garde nationale. Kent State, Quatre morts dans l’Ohio, raconte avec minutie les jours qui ont précédé cette tragédie du 4 mai 1970 et pointe avec gravité les dangers de l’autoritarisme…
En 1970, Derf Backderf n’a qu’une dizaine d’années mais la fusillade de l’université d’État de Kent qui est au coeur de ce récit et qui s’est jouée à quelques kilomètres de chez lui l’a suffisamment marqué pour qu’il en fasse un dessin à l’époque et un livre aujourd’hui.
Quatre ans de recherches lui ont été nécessaires pour écrire Kent State, Quatre morts dans l’Ohio, quatre ans pour consulter les archives, lire les témoignages de cours d’assises, les rapports du FBI et interviewer quelques témoins de l’époque.
Avec un résultat étonnant de précision et de rigueur. Jour après jour, quasiment heure par heure, Derf Backderf raconte la montée en puissance de la contestation dans cette université attisée par l’arrivée sur le campus d’une garde nationale armée jusqu’aux dents et agressifs.
Et bien sûr, ce qui devait arriver arrive. La garde nationale finit par tirer sur les manifestants : quatre morts, neuf blessés graves et un choc, énorme, un séisme dont les répliques finiront par toucher l’Amérique entière.
Dans une interview pour le site comixbox, Derf Backderf explique : « C’est un récit qui parle de questions importantes, comme les dangers de l’autoritarisme et comment un gouvernement écrase les dissidences. Ces questions, j’en ai bien peur, deviendront bientôt encore plus d’actualité. Les puissants ont toujours utilisé les grandes crises comme celle-ci pour grapiller encore plus de pouvoir. Dieu seul sait ce qui va nous arriver avec ce clown grotesque que nous avons à la Maison Blanche. Et de la même manière, quand les gilets Jaunes manifesteront à nouveau, de quelle tolérance feront preuve votre gouvernement et votre police ? »
Tout aussi rigoureux qu’un Joe Sacco avec un trait plus souple, plus rond, moins austère, Derf Backderf signe ici une BD documentaire exemplaire qui allie rigueur journalistique et approche historique, un récit hyper-documenté, captivant de la première à la dernière page et forcément poignant. À l’heure où le pays est secoué par une vague de manifestations et d’émeutes liées à la mort de George Floyd, Kent State, Quatre morts dans l’Ohio pourrait figurer en très bonne place au palmarès du prochain festival d’Angoulême pour lequel il a été sélectionné.
L’album est en compétition pour le Prix du Public France Télévisions
Eric Guillaud
Kent State, Quatre morts dans l’Ohio, de Derf Backderf. Ça et là. 24€