Elle s’appelle Esther, lui, Victor. Elle est juive, lui non. Ils sont amoureux mais la guerre va les séparer. Lorsqu’ils finissent par se retrouver, le monde a changé, plus rien ne ressemble à avant, la famille, les amis, pour certains, ne sont plus là. Quant à l’amour…
Eclats et Cicatrices, deux volumes pour une seule et même histoire, une histoire intime au coeur de la grande histoire. Nous sommes en 1946, Esther et Victor se retrouvent après des années de séparation. La guerre est passée par là avec son cortège d’horreurs, de trahisons, de chagrins, mais aussi, parfois, ses actes de bravoures et ses histoires d’amour.
En 1939, Esther et Victor s’aimaient, l’avenir leur appartenait, ils parlaient mariage, enfants, avant que les Allemands n’envisagent d’envahir le pays. Victor est mobilisé, Esther s’enfuit, les Allemands débarquent, le gouvernement capitule, c’est le début de l’occupation. Certains Néerlandais optent pour la collaboration, d’autres rejoignent la résistance, comme Victor. Les années passent…
Lorsqu’ils se retrouvent par hasard en 1946, Esther et Victor ont des années de vie à se raconter. Défile alors en une succession de flashbacks le récit de la guerre, de leur guerre. Aucun sensationnalisme ici, Erik de Graaf s’attache plutôt à décrire les émotions et un quotidien plus souvent ordinaire qu’extraordinaire. C’est la marque de fabrique de l’auteur. Comme il nous le confie dans cette interview, ce qu’il aime avant tout, c’est raconter des « histoires personnelles avec de la profondeur » et contribuer à sa manière à entretenir la mémoire collective.
On vous connaît peu en France. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Erik de Graaf. À l’origine, je suis graphiste et cogérant d’une agence de design. La bande dessinée a commencé de façon thérapeutique quand j’étais à la maison suite à un burn-out, il y a des années. C’est maintenant devenu ma deuxième profession.
On vous classe dans la catégorie ligne claire. On est pourtant bien loin d’un graphisme à la Chaland ou même à la Serge Clerc. Qu’est-ce qui vous rapproche selon vous de ces deux artistes que vous citez régulièrement parmi vos influences ?
Erik. Ils m’ont particulièrement inspiré pour développer un style élégant et clair, tant dans les lignes que dans l’utilisation de la couleur. J’ai ensuite cherché et trouvé ma propre voie dans ce domaine, où mon arrière-plan graphique est indéniablement présent. Mon style est plus hollandais, plus calme et plus simple. Quelqu’un l’a récemment appelé « l’hyper ligne-claire ».
Le diptyque Eclats/Cicatrices est votre deuxième roman graphique. Il raconte une histoire d’amour sur fond de guerre. Comment est né ce projet ?
Erik. J’ai été inspiré lorsque j’ai lu un article de journal à la fin des années 1990 qui décrivait comment les voisins, les amis, la famille se sont attaqués, voire se sont suicidés pendant la guerre en ex-Yougoslavie alors qu’ils vivaient auparavant en bonne harmonie. Cela m’a montré ce qu’un conflit armé peut faire aux gens ordinaires. J’ai « projeté » ça sur la Seconde Guerre Mondiale parce que c’est plus proche de moi parce que j’ai grandi avec ça pendant les cours d’histoire à l’école et ma grand-mère m’en a beaucoup parlé.
Je voulais aussi montrer comment de tels événements laissent des cicatrices à jamais et ont un impact durable sur la vie des gens.
Quelle vision aviez-vous de la guerre avant ce roman graphique?
Erik. Une vision plus myope. Je pensais davantage à qui avait eu raison et tort pendant la guerre. C’est aussi ce que j’avais appris dans ces cours d’histoire à l’école dans les années 1970.
Votre travail sur Éclats et Cicatrices a-t-il modifié cette vision ?
Erik. Sans aucun doute ! En lisant beaucoup et en me documentant, j’ai découvert que les choses sont souvent plus nuancées, que l’histoire n’est pas toujours noire ou blanche. Il y a souvent beaucoup de tons gris à découvrir si vous plongez dans les histoires. Cela ne veut pas dire que des choses terribles se sont produites, bien sûr.
Globalement, quelle place occupe la seconde guerre mondiale dans la mémoire collective des Hollandais ?
Erik. Très importante ! Cette année, nous avons célébré 75 ans de libération. Malheureusement, de nombreuses festivités n’ont pas pu avoir lieu à cause de la Covid-19.
Même aujourd’hui, nous devons continuer à raconter l’histoire de la Seconde Guerre mondiale aux jeunes générations pour leur montrer la grande importance de la liberté. J’essaye d’y contribuer avec mes livres.
Quel message aimeriez-vous faire passer par ce récit ?
Erik. Ne jugez pas trop vite quelqu’un ou quelque chose. Plongez-vous dedans et ne formez votre opinion qu’alors car souvent les choses sont plus nuancées et les choses ne sont pas si noires et blanches. Je pense que c’est un son important à cette époque où le populisme est de plus en plus présent et gagne en puissance.
Quel regard portez-vous sur la production (cinéma, littérature…) autour de la deuxième guerre mondiale ? Quelles peuvent être vos références dans ce domaine ?
Erik. J’aime vraiment les histoires personnelles avec de la profondeur que ce soit dans la bande dessinée, la littérature, les documentaires et les films. Par exemple, La guerre d’Alan d’Emmanuel Guibert, ou Moi, Rene Tardi par Jacques Tardi. Le roman sur la vie de Johannes Post, membre de la résistance hollandaise, ou un film comme Le Pianiste.
Est-ce qu’il y une BD qui vous a particulièrement marqué ?
Erik. Le livre Heimat de Nora Krug. En tant qu’Allemande vivant à New York, elle avait honte de ses origines. Après avoir parlé à une femme juive qui a survécu à l’Holocauste, elle a décidé de se plonger dans sa propre histoire familiale. Elle voulait savoir ce que sa famille avait fait pendant la guerre. Le livre est une quête passionnante magnifiquement représentée.
Et demain ? Vos projets ?
Erik. Je travaille sur un hommage sans texte à mon grand « héros » Yves Chaland. Toutes les pages sont dessinées et je vais bientôt commencer à colorier.
Merci Erik, propos recueillis le 4 septembre 2020
Eric Guillaud
Eclats et Cicatrices, d’Erik de Graaf. Dupuis / Champaka Brussels. 25€ le volume