S’il est aujourd’hui un être torturé et pessimiste, dans les années 40 Batman était héros rasé de près et toujours prêt à défendre la veuve et l’orphelin. Particulièrement dans ses aventures reformatées spécialement pour la presse quotidienne, enfin de nouveau disponibles en France à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de sa création…
Aux États-Unis, on les appelle les dailies (es ‘journaliers’), même si en France on lui a toujours a préféré celui de ‘format à l’italienne’. Quelque soit l’étiquette choisie, ces petites vignettes étaient presque un art en soit. Ou comment réussir à raconter une histoire en, allez, quatre cases maximum tout en les insérant dans un grand tout. Une vraie gageure scénaristique et graphique, l’équivalent en format BD de ce que furent les romans feuilletons de la première moitié du XXème siècle. Le public américain étant particulièrement friand de ce genre d’exercice, la jeune industrie florissante des comics ne pouvait que surfer sur cette tendance. Et après Tarzan, Flash Gordon ou encore Superman, Batman et son compère Robin se sont eux aussi jetés dans la brèche. Ce premier tome (sur trois prévus) réunit donc tous ces premiers strips parus entre Octobre 1943 et Octobre 1944.
Alors autant prévenir d’entrée : on a plus affaire ici à une réédition, disons, patrimoniale qu’à une bande dessinée à part entière que l’on pourrait appréhender de façon objective avec notre regard du XXIème siècle. Mais l’objet est superbe, nanti d’un papier granuleux de haute qualité ainsi qu’une longue et très détaillée introduction où l’on revient sur ses conditions de fabrication et sa diffusion, ainsi que sur les différents auteurs qui se sont penchés sur son berceau.
Seulement quatre ans après sa création et victime en quelque sorte de son époque (nous sommes dans les années 40 et le Monde est en guerre), le Batman de 1943 est très stéréotypé et sans subtilité. En même temps, vu le format, les auteurs ne pouvaient (et ne voulaient sûrement) pas faire dans la dentelle, ne serait-ce que suivre le rythme imposé par la cadence infernale de parution. Les dailies était un jeu à part avec leurs règles bien à eux, avec notamment une obsession pour les coups de théâtre à répétitions.
Mais c’est justement ce ton très naïf à part et surtout l’ambiance très ‘roman noir’ qui le rendent aussi très attachant. En gros, à part le Joker, nos deux super-héros n’en sont pas encore à affronter des super-vilains mais font plutôt figure ici de super-policiers en quelque sorte, en prise avec la pègre ou des trafiquants en tout genre. Sauf que malgré sa mâchoire carrée et ses poses viriles, le vengeur masqué affiche aussi déjà un côté sombre que son créateur Bob Kane, toujours ici aux manettes, cultive avec délice dans un style parfois assez proche de la série télé Les Incorruptibles. Cerises sur le gâteau, l’encrage de Charles Paris (sublimé ici par des reproductions et un noir et blanc impeccables) et le respect du format original, rendant ainsi l’expérience encore plus immersive.
Délicieusement rétro et en même temps avec une patte graphique qui, près de huit décennies plus tard, frappe encore, un petit bijou de BD à l’ancienne pour les amoureux des aventures de Philip Marlowe, de héros vraiment supers et de soirées à planquer sur les quais baignés dans la brume.
Olivier Badin
Batman, The Dailies: 1943-1944 de Bob Kane, DC Comics/ Urban Strips, 22,50 euros