C’est un endroit où personne ne devrait logiquement vivre, coincé entre une déchetterie et la base militaire aérienne B118 de Mont-de-Marsan, la plus active de France. 3000 soldats, 20 000 mouvements d’avions par an et du kérosène qui vous dégringole dessus en permanence. Non, personne ne devrait y vivre, pourtant la maison de Marie s’y trouve, et à côté d’elle d’autres familles, d’autres maisons, formant le plus ancien camp de gitans de France…
« De la graine de vauriens, des cambrioleurs, des voleurs de cuivre, des bagarreurs mal rasés qui sillonnent les routes de France et de Navarre à bord de grosses bagnoles tractant d’énormes caravanes. Des gens peu fréquentables, dont il faut se méfier et qui n’apportent que des ennuis… ».
Ces mots-là, nous les avons tous entendus un jour ou l’autre. Claquant comme une évidence. Alors, beaucoup d’entre eux se sont isolés et beaucoup d’entre nous les ont évités. Au point aujourd’hui de vivre chacun dans l’indifférence totale, deux mondes qui ne se voient pas, ne se parlent pas, d’un côté les manouches, de l’autre les gadjos et au milieu une rivière de préjugés, de méfiances et d’ignorances.
En arrivant au camp, le photographe Alain Bujak se remémore lui aussi ces mots. Et d’autres encore. Il est venu ici pour enquêter sur le prochain démantèlement du camp arès le rachat du terrain par l’armée et le relogement des manouches dans des habitations plus traditionnelles pour une vie forcément plus standardisée.
Marie est la première personne que rencontre Alain Bujak. Un passage obligé. Elle vit dans le camp de rond depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle y a vécu le racisme ordinaire, la misère, l’exclusion, la solitude. Mais elle y a aussi vécu de belles choses. En 60 ans et plus, Marie a largement eu le temps d’installer ses petites habitudes et d’engranger les souvenirs.
Comment réagit-elle à ce déménagement ? Comment tous voient-ils l’avenir ? Pourront-ils conserver leur manière de vivre, leur identité ? Leur culture ne risque-t-elle pas de se diluer dans un quotidien « normalisé » ? C’est à toutes ces questions et beaucoup d’autres que le photographe espère trouver des réponses en interrogeant les manouches.
Kérosène nous raconte cette enquête avec les dessins de Piero Macola, les photographies – une trentaine – d’Alain Bujak et un objectif clair : donner la parole aux manouches et garder la trace de cette histoire humaine. Une bande dessinée soutenue par Amnesty International.
Eric Guillaud
Kérosène, par Alain Bujak et Piero Macola. Éditions Futuropolis. 21€