07 Juin

Capitaine Fripouille : une aventure de cape et d’épée gentiment contestataire signée Alfred et Olivier Ka

capitaineFripouilleAprès le très remarqué « Pourquoi j’ai tué Pierre » qui abordait le thème de la pédophilie, le duo magique Olivier Ka – Alfred se reforme autour d’une magnifique histoire qui nous parle cette fois de résistance…

C’est un peu le pot de terre contre le pot de fer. Dans le village de Palladipelledipollo – respirez – tout appartient à Federico Jabot. L’auberge, les restos, le musée, les magasins de jouet ou de bricolage… Tout sauf la petite librairie Fellini d’Ernesto et Fabiola qui a résisté jusqu’ici aux vélléités hégémoniques de Jabot.

« Jabot a tout racheté! Il est comme un ogre qui dévore tout sans rien laisser aux autres. Son appétit est sans fin, il prend tout », s’énerve Fabiola.

Mais les clients se font de plus en plus rares dans la petite librairie malgré les efforts d’Ernesto et Fabiola. Et la banque, qui appartient bien évidemment à Federico Jabot, réclame le remboursement de l’emprunt. C’est précisément à ce moment-là que débarque Capitaine Fripouille, le papa de Fabiola, un personnage haut en couleurs qui se décrit comme « un vieux renard rusé, un malin fûté, un roublard et un coriace! Mais aussi un explorateur, un justicier, un philosophe et un marin exceptionnel!!! », bref un super-héros qui tombe à pic pour remotiver les troupes et appeler à la résistance…

Résister ! c’est bien là le mot d’ordre de cette aventure de cape et d’épée « libertaire » pour reprendre le terme d’Alfred, publiée dans la collection « Les Enfants gâtés » des éditions Delcourt. Résister à Jabot et en filigrane à la mondialisation, à l’oppression, à l’hégémonie des multinationales, résister à l’uniformisation pour cultiver la différence, voilà ce qu’y trouveront les plus grands car Capitaine Fripouille n’est pas réservé aux petits. Un très très bel album, au format approprié pour profiter pleinement du jolie coup de crayon d’Alfred et de cette aventure qui combine action et humour.

Eric Guillaud

Capitaine Fripouille, d’Alfred et Olivier Ka. Éditions Delcourt. 14,50€

© Delcourt / Alfred & Ka

© Delcourt / Alfred & Ka

03 Juin

Mildiou : un des premiers albums de Lewis Trondheim réédité à L’Association

3543Tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu au Neuvième art connaissent aujourd’hui Lewis Trondheim, au moins de nom. A l’époque de Mildiou, publié en 1994 au Seuil, ce n’était pas tout a fait le cas même si les plus pointus en la matière sentaient déjà que quelque chose de neuf frémissait sous la plume et le pinceau de l’auteur…

Et de fait, Lewis trondheim fait aujourd’hui partie des auteurs connus et reconnus de la bande dessinée, un auteur qui a contribué à faire avancer le genre grâce à sa technique du dessin direct, aux contraintes techniques qu’il s’est souvent imposées à son ton décalé mais aussi grâce son approche zoomorphique, à ses personnages (le lapin, le chat, le canard…) qui revenaient d’un livre à l’autre mais pas dans le même rôle…

Depuis, Lewis Trondheim a produit une quantité invraisemblable de livres, dans tous les genres, il a reçu l’Alph-Art Coup de coeur en 1994 pour l’album Slaloms, il été ordonné Chevalier des Arts et Lettres en 2005 et couronné Grand Prix à Angoulême en 2006… Il a aussi co-fondé la maison d’édition L’Association en 1990, laquelle réédite aujourd’hui – on y revient – l’album Mildiou qui n’a rien perdu de sa force et de sa farce.

Sur près de 150 pages, Lewis Trondheim nous offre une énorme scène de bagarre entre le gentil Lapinot qui ne demandait rien à personne et le méchant Mildiou, un usurpateur et oppresseur de première qui compte défendre bec et ongles ou plus justement museau et griffes sa place de roi qu’il a volé de la pire façon. Une bagarre sans fin où l’intelligence de l’un attise la bêtise de l’autre et vice-versa. Mildiou, c’est de l’action, beaucoup d’action, mais c’est aussi une sacrée leçon de mise en scène, des dialogues savoureux, un sens de l’absurde incroyable, bref un bouquin à découvrir ou redécouvrir au plus vite et à garder pas trop éloigné de sa table de chevet.

Eric Guillaud

Mildiou, de Lewis Trondheim. Editions L’Association. 13€

© L'Association / Trondheim

© L’Association / Trondheim

02 Juin

Hate, chroniques de la haine : rencontre avec l’auteur Adrian Smith à l’occasion de son passage à Paris

© Fef 2017

© Fef 2017

Baroque, épique, homonyme d’un des guitaristes d’iron Maiden (ceci expliquant cela ?) et bien connu des fans de jeux de plateaux, l’un des maîtres de la ‘dark fantasy’ Adrian Smith voit son premier livre intégralement signé de sa main paraître en français, alors qu’une exposition à la galerie Glénat à Paris salue son talent d’illustrateur…

« De toutes façons, je ne me considère pas comme un dessinateur de comics. Cela ne m’intéresse pas plus que ça et je ne crois pas que les fans du genre aiment beaucoup ce que je fais non plus de toute façon… », lâche Adrian Smith avant de se marrer doucement, avec ce mélange de punk sur le retour (t-shirt noir, cheveux longs blancs, regard amusé) et de flegme typiquement britannique. Mais d’une certaine HATE_couverturemanière, il a raison. C’est avant tout comme illustrateur que cet Anglais né en 1969 dans le Sussex est connu, notamment pour son travail pour Games Workshop, célèbre boîte de figurines pour jeux de plateaux dont les stars incontestées restent ‘Warhammer’ et son extension futuriste ‘Warhammer 40,000’. Soit des mondes imaginaires autour desquels des millions de nerds armés tout juste d’un dé et de quelques pots de peinture se retrouvent régulièrement pour écharper du troll à tout-va à coups de sort d’épées à double main ou de sort de boule de feu niveau 14. Des mondes peuplés de créatures hypertrophiées, aux muscles proéminents et armées jusqu’aux dents à faire passer le bestiaire du ‘Seigneur des Anneaux’ pour le village des Bisounours et où Smith à faire voler les têtes, un peu comme un John Frazetta des temps modernes gonflé aux OGM.

 

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

‘Les Chroniques de la Haine’ ne sont pas exactement ses premiers pas dans les comics. Avant cela, il avait déjà fait des couvertures pour le magazine anglais ‘Toxic’ avant de signer en 2005 ‘Broz’ (sorti en deux tomes chez éditions Nickel). Sauf que ‘Hate’ se révèle être une œuvre beaucoup plus personnelle dont la réalisation s’est étalée sur près de trois ans. « Tout est parti d’une illustration toute bête de celui qui allait devenir le personnage central de l’histoire. C’était vraiment sous le coup de l’inspiration du moment et je l’ai faîte sans vraiment savoir ce que j’allais en faire, juste pour mon plaisir. Mais je ne sais pas, il y avait quelque chose en elle qui me disait que derrière, il y avait tout une histoire à raconter. J’ai donc commencé à dessiner page par page l’histoire, chacune m’entraînant car je ne suis pas scénariste ! C’était très organique et quelque chose de très égoïste en même temps car je l’ai vraiment faîte avant tout pour moi, souvent entre minuit et cinq heures du matin lorsque j’avais fini mon ‘vrai’ boulot, tu sais, celui qui permet de payer le loyer… » rajoute t’il en souriant. « C’est un peu comme une maîtresse que ma femme m’autorise à avoir, du moins à certaines heures. »

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

Smith n’y croit pourtant tellement pas qu’une fois fini, il décide de mettre gratuitement l’intégralité à disposition via les réseaux sociaux, jusqu’à ce qu’un éditeur américain décide d’en faire une première sortie papier sur le continent américain il y a trois ans, avant que Glénat ne s’en empare en 2016 afin d’en publier les deux volumes pour le territoire français. Une transcription rendue encore plus facile grâce par la facilité de la traduction, vu le peu de dialogue. « Et encore, je n’en voulais pas du tout ! C’est un ami qui m’a conseillé d’en mettre un petit peu, histoire de donner quelques repères aux lecteurs. Et puis le héros est muet et en partie sourd donc je voulais que le lecteur ressente et vive l’aventure de la même façon que lui. Et puis le plus important pour moi était l’atmosphère. C’est aussi pour cette raison que j’ai décidé de tout faire en noir et blanc, j’avais peur que la couleur ne devienne une trop grande distraction. Et puis pour être honnête, cela m’a aussi permis de travailler plus vite. »

À l’inverse de ses nombreux confrères américains dont les héros gigotent comme s’ils étaient atteints de la maladie de Parkinson, Smith est très avare en mouvement. Il y en a ici très peu, l’action devenant presque comme les vignettes de pellicule d’un film muet d’heroic fantasy oublié de la grande époque du cinéma expressionniste allemand. « Je n’ai pas besoin de faire quinze planches pour décrire une bataille, je trouve beaucoup plus fort de dessiner l’avant et l’après. On revient toujours à cette notion d’atmosphère, je préfère suggérer plutôt que tout montrer. Et puis je trouve beaucoup plus fort mettons une simple image des piles de corps et des vautours tournant autour une fois que les armes se sont tues. »

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

Monochrome et parfois plus proche du concept-art que la BD pure, ‘Hate’ n’est pas fait pour tout le monde. Autant immersif que contemplatif, son monde est aussi ahurissant de beauté que laid car cruel et sans pitié. Pas de grande explication, pas de philosophie cosmique ni d’ode à l’aventure ici mais juste des créatures parfois grotesques et effrayantes qui vit par l’épée et meurt par l’épée. Son trait incroyablement précis est un condensé de l’essence même de la dark fantasy, celle sublimée par les écrivains Robert E. Howard (‘Conan’) ou Karl Edward Wagner (‘Kane’). Bonne nouvelle : il commence tout juste à travailler à la suite, ou plutôt à un préquel dont l’action se situera donc avant celle de ‘Hate’.

Histoire de compléter votre lecture, un petit conseil : passer dans le 3e arrondissement à Paris jeter un œil à l’exposition consacrée à l’auteur jusqu’au 21 Juin. Soit la douzaine de planches originales réalisées entièrement à la main (le reste a été fait à l’aide d’outils numériques) plus que quelques acryliques peintes spécialement pour l’occasion qui permettent de se rendre compte de la masse de travail accomplie.

Olivier Badin

Hate : Chroniques de la Haine d’Adrian Smith, Glénat, 30 euros

Exposition Adrian Smith, jusqu’au 21 Juin, 22 Rue de Picardie, 75003 Paris. Plus d’infos ici

Les dessins de Vuillemin réalisés pour Charlie Hebdo exposés à la galerie Huberty & Breyne à Paris du 16 juin au 2 septembre

Capturevuillemin

Son truc à lui, c’est la provoc, l’irrévérence, l’anticonformisme, le dégueu dégoulinant tendance anar… mais le tout avec classe et dignité. Héritier direct de Reiser, Philippe Vuillemin est devenu le maître incontesté toutes catégories de la ligne crade, à des années lumière de la ligne claire d’Hergé.

Et cette ligne crade, aujourd’hui, s’expose dans les galeries ! Oui oui comme Tintin. « Vuillemin, le meilleur de lui-même » est le nom de l’expo présentée à la galerie Huberty et Breyne à Paris du 16 juin au 2 septembre. Elle rassemblera des dessins réalisés pour les pages « Entretien avec… » de Charlie Hebdo ainsi qu’une vingtaine de rébus d’ « A la Recherche du Temps Perdu », une variation autour du chef d’œuvre de Marcel Proust.

Plus d’infos ici