Julie Dachez est diagnostiquée autiste Asperger à l’âge de 27 ans. De ce diagnostic tardif, elle en fait une force, un tremplin vers une autre vie. Terminé de faire semblant, d’accepter un quotidien, un travail, qui ne lui conviennent pas, Julie Dachez décide de vivre pleinement sa vie avec ses faiblesses et ses forces. Elle vient de publier une bande dessinée avec Mademoiselle Caroline qui raconte son parcours mais parle aussi de différence au sens large du terme, de respect, de tolérance, d’acceptation de soi… Rencontre.
Dans votre roman gaphique, on vous voit sauter de bonheur, hurler de joie au moment du diagnostic. Ça s’est vraiment passé comme ça ?
Julie Dachez. Dans la BD c’est mon « moi intérieur » qui saute au plafond, et oui ça s’est vraiment passé comme ça! Après 10 ans d’errance, ce diagnostic m’a libérée car il est venu poser un mot sur ma différence. Il était absolument essentiel pour me permettre d’apprendre à respecter mes limites tout en me focalisant sur mes points forts.
Vous avez largement investi le web pour expliquer l’autisme, pourquoi aujourd’hui la bande dessinée ?
J.D. C’est Fabienne Vaslet, une lectrice de mon blog elle-même maman de 2 garçons Asperger qui m’a soumis l’idée de cette BD. J’ai tout de suite été séduite par le projet! Le format BD est vraiment intéressant car les dessins permettent de donner corps au propos. Ils permettent aux lecteurs de comprendre concrètement ce qui se passe dans la tête d’une personne Asperger. Et là il me semble important de saluer le travail de l’illustratrice, Mademoiselle Caroline, qui a vraiment réussi à se mettre dans ma peau et à retranscrire parfaitement tous mes ressentis!! Et elle a aussi adapté le scénario en apportant sa patte et son expérience.
À qui vous adressez-vous en priorité ? Aux autistes ?
J.D. Aux autistes et à leurs proches, bien sûr, mais pas que! J’ai coutume de dire que pour moi l’autisme est un prétexte pour parler de la différence au sens large, et de l’acceptation de soi.
On comprend bien au fil des pages que ce qui libère Marguerite c’est le fait qu’elle finisse enfin par s’aimer et s’accepter telle qu’elle est. Or, être en paix avec soi est une quête universelle! Je crois que cette BD peut vraiment parler à tout le monde.
C’est Mademoiselle Caroline qui a mis en images votre histoire ? Comment l’avez-vous rencontrée et comment avez-vous travaillé ensemble ?
J.D. Fabienne l’a découverte et m’en a parlé. J’ai beaucoup aimé son trait, et grâce à sa BD « Chute libre » je savais que c’était quelqu’un de sensible et atypique. On l’a contactée et elle a tout de suite accepté le projet avec l’enthousiasme qui la caractérise! Je pense que notre duo a vraiment bien fonctionné, même si au départ il a fallu s’ajuster car j’étais – comme tout bon autiste qui se respecte – très psychorigide et pointilleuse sur les détails et cela me mettait dans tous mes états dès qu’elle s’écartait un tant soit peu de mon scénario! Et de son côté, elle avait tendance à oublier que j’étais autiste et que j’avais donc un mode de fonctionnement particulier. Mais avec l’aide de Fabienne on a trouvé un très bon équilibre, et comme on est toutes les deux bienveillantes, ça s’est très bien passé!
Pourquoi ne pas avoir donné le prénom de Julie, votre prénom, à l’héroïne de ce roman graphique ?
J.D. J’ai spontanément pris le parti de raconter mon histoire à la 3e personne et en utilisant mon deuxième prénom, « Marguerite ». Je crois que c’était certainement pour moi une façon d’adopter une sorte de « méta-position » me permettant de prendre du recul pour mieux me raconter.
On entend souvent dire que la France est en retard sur la question de l’autisme. Est-ce toujours vrai aujourd’hui ?
J.D. OUI! Bien sûr… Malgré trois plans autisme, la situation est aujourd’hui encore dramatique, notamment pour les adultes autistes. Et ne parlons même pas des enfants autistes : seuls 20% d’entre eux sont scolarisés en milieu ordinaire. Quand on sait qu’en Italie par exemple depuis la fin des années 70 tous les élèves en situation de handicap (quel que soit leur handicap) sont scolarisés, on a du mal à comprendre un tel retard en France!! C’est une honte.
Selon vous, que faudrait-il faire pour rattraper ce retard ?
J.D. Scolariser tous les enfants autistes en milieu ordinaire, déjà! Une personne autiste n’a rien à faire en IME ou en hôpital psychiatrique. Et concernant les adultes, à titre d’exemple, actuellement les délais d’attente pour passer un diagnostic au Centre de Ressources Autisme peuvent atteindre les 2 ans. Et une fois le diagnostic posé, il n’existe rien, aucun suivi. Nous manquons cruellement de moyens…
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Vous combattez depuis l’âge de 27 ans les préjugés liés à l’autisme. Quelles sont les énormités qui vous font encore bondir aujourd’hui ?
J.D. La méconnaissance de l’autisme, alliée à une vision très pathologisante de cette condition, ont fait de l’adjectif « autiste » un terme à ce point connoté négativement qu’il en est devenu une insulte. Par exemple : Jean-Louis Borloo a déclaré en 2013 « Le gouvernement est passé de l’inaction politique à l’autisme », en 2015, Bruno Le Maire a traité la gauche et Manuel Valls d’ « autistes », etc. Ces déclarations ne sont pas de simples dérapages, elles reflètent une perception largement partagée de l’autisme comme une tare. C’est quelque chose qui me fait bondir, oui, car en tant que personnes autistes nous avons en nous des richesses incroyables et de merveilleuses qualités (notre sens de la justice, notre honnêteté, notre sens du détail, notre capacité à focaliser notre attention sur des sujets bien précis pendant des heures, etc.) dont personne ne parle – ou si peu. Alors que les hommes politiques puissent utiliser le terme « autiste » comme une insulte, franchement, je me dis que c’est le monde à l’envers…
© Delcourt / Mademoiselle Caroline & Julie Dachez
Blog, chaîne Youtube, BD et maintenant documentaire. Pouvez-vous nous parler de votre projet Bubble ?
J.D. Je co-réalise avec Pierre Feytis (lui-même autiste de haut niveau) un film documentaire indépendant sur l’autisme, que nous avons ironiquement appelé « Bubble » en référence au stéréotype de l’autiste enfermé dans sa bulle. Dans ce film, nous allons à la rencontre d’adultes autistes qui sont comme nous à l’extrémité invisible du spectre autistique afin de recueillir leurs propos sur des thématiques comme la normalité, le handicap, la différence etc. En parallèle Pierre et moi nous filmons en train de faire le film, nous sommes en quelque sorte le fil rouge du documentaire. C’est un film complètement atypique, tant sur le fond que sur la forme, avec un propos très engagé! Et nous avons lancé un financement participatif pour nous aider à aller au bout de ce magnifique projet.
Je me suis enfin réconciliée avec moi-même et j’ai adapté mon environnement (et ma vie) à mes spécificités, plutôt que de passer mon temps à me suradapter à un environnement qui ne me correspondait pas
Avec tous ces projets, que reste-t-il de la jeune femme autiste d’hier ?
J.D. Il est difficile de répondre à cette question! Car tout a changé et pourtant je suis restée la même. Je suis et serai toujours autiste, j’ai donc les mêmes difficultés – et les mêmes forces, aussi – qu’avant. C’est simplement ma façon de les percevoir et de les vivre qui a tout changé. Je me suis enfin réconciliée avec moi-même et j’ai adapté mon environnement (et ma vie) à mes spécificités, plutôt que de passer mon temps à me suradapter à un environnement qui ne me correspondait pas (quitte à y laisser ma santé et ma joie de vivre!). C’est la raison pour laquelle aujourd’hui je suis épanouie et confiante, et je me sens enfin « à ma place » dans ce monde.
Merci Julie
Propos recueillis par Eric Guillaud le 3 septembre 2016. Plus di’nfos sur le projet Bubble ici, la chaîne YouTube de Julie là et son blog par ici.