Magistral ! Un choc graphique ! Un vénéneux voyage dans les ténèbres ! Le quatrième tome des aventures de Polza Mancini vient de sortir. Blast, c’est l’effet de souffle que l’on ressent après une explosion – et c’est ce qu’a réussi à nous faire éprouver Manu Larcenet avec cette série qui figurera dans les must du 9ème art.
Le dictionnaire nous dit qu’une explosion, c’est une onde qui a plusieurs effets :
- l’onde de choc dans l’air percute la personne et provoque une onde de choc dans son corps, c’est le « blast primaire »
- elle projette des objets, c’est le « blast secondaire »
- lorsque l’onde de choc atteint une personne, celle-ci se trouve pendant un très court instant avec une surpression d’un côté et la pression atmosphérique de l’autre, c’est le « blast tertiaire »
- enfin l’effroi provoqué par l’explosion induit fréquemment un traumatisme psychique que l’on qualifie parfois de « quatrième blast ».
Vous voilà prévenu avant la lecture des 4 tomes de Blast. Ce traumatisme psychique, cet état d’apesanteur qui le libère du poids de sa lourde carcasse, c’est ce que recherche Polza Mancini, un écrivain de 150 kg parti à la dérive après la mort de son père. « Si vous voulez comprendre… Il faut que vous passiez par où je suis passé ». Blast c’est donc le récit, par nature sujet à caution, de cette dérive, à travers un long interrogatoire policier – pour comprendre l’histoire d’un homme suspecté d’avoir fait de nombreuses victimes dont Carole Oudinot, la seule femme qu’il ait aimée.
« Ça y est. C’est fini. Quelle aventure!
Je voudrais adresser ici un remerciement général à tous ceux qui se sont laissés tenter par ces quatre livres. C’était très inattendu qu’un tel récit puisse trouver une audience si importante. Merci, donc, de m’avoir suivi sur ces 5 dernières années qui me semblent aujourd’hui tenir du marathon, certes formateur, mais épuisant. Je suis soulagé que la fin arrive, nullement attristé, solitaire ou démuni, comme d’ordinaire, au moment de mettre un point final à un livre. Juste soulagé. »
Ainsi s’exprime le peu disert Manu Larcenet sur son blog. Il a réussi à mener à bien ce nouveau récit, mêlant réflexions et résonances des plus autobiographiques pour les réflexions existentielles. Mais ce récit est aussi bien plus noir que ne l’était le Combat ordinaire ou le Retour à la terre. Une oeuvre supplémentaire qui confirme la maturité et la puissance graphique de son auteur. Avec originalité et une liberté incroyable, il multiplie les styles – jusqu’aux dessins de ses enfants pour évoquer les fameux Blast de son héros ou le papier découpé pour les créations schizophréniques d’une de ses victimes. Il y a du Jiro Taniguchi dans les planches évoquant la nature et ses magnifiques plages de silence et du Didier Comès pour la fluidité du noir et blanc.
Il a pourtant bien failli se perdre plus d’une fois, comme il le confie à la fin de son ouvrage. Il a alors fait appel à son fidèle complice Jean-Yves Ferri, qui l’a remis en piste en lui proposant quelques strips de Jasper, l’ours bi-polaire sur la banquise, des tranches d’humour salutaire pour Larcenet, comme pour le lecteur, au milieu d’une histoire sur le fil du rasoir.
Après un si long périple, cette grasse carcasse nous aura fait réfléchir sur ce qu’est l’harmonie et le retour à l’état sauvage en harmonie avec la nature. Pourvu que les bouddhistes se trompent, une fois refermé le dernier tome, les effets du Blast n’ont pas fini de nous souffler … une réussite en forme d’apothéose.
Didier Morel
Blast (4 tomes) par Manu Larcenet © Dargaud
A noter : ce 4ème tome est dédié à Laurent Beaufils, le géant roux, notre regretté confrère de France 3, mort prématurément l’an dernier. Ils se sont rencontrés au cours de reportages et il a réalisé avec Sam Diallo en 2006, un documentaire permettant au spectateur de suivre Manu Larcenet pendant la conception du troisième tome du Combat Ordinaire. Manu Larcenet a donné son visage et sa silhouette au personnage du journaliste qui clôt la série.
La B.O à se glisser entre les oreilles pour prolonger le plaisir (un clin d’oeil de Larcenet, son héros porte un T-shirt faisant référence au groupe) :
Red Hot Chili Peppers – Scar Tissue