Gustave Doré. Ce nom ne vous est sans nul doute pas inconnu. Vous l’associez très certainement aux illustrations de grands textes de la littérature, comme les Contes de Perrault, les Fables de La Fontaine ou encore Don Quichotte de Cervantès. Mais peut-être ne savez vous pas que cet illustrateur du 19ème siècle, qui a composé plus de 10 000 planches dessinées, est aussi à considérer comme le premier auteur de bande dessinée français. C’est que propose la magnifique exposition L’imaginaire au Pouvoir au Musée d’orsay à Paris.
En effet, avant de se consacrer à l’illustration de classiques de la littérature, Gustave Doré (1832-1883) a commencé par une carrière de dessinateur. A l’âge de quinze ans, il se présente à Paris chez Charles Philipon (1800-1862), le directeur du Journal pour rire, avec quelques uns de ses dessins. Le travail de ce tout jeune homme impressionne celui qui édite également, chez Aubert et Cie, les albums du père de la bande dessinée, le suisse Rodolphe Topffer (1799-1846). Gustave Doré est immédiatement engagé comme dessinateur régulier et pendant sept ans va fournir près de 1200 caricatures, devenant une signature incontournable du périodique.
En parallèle, Gustave Doré va publier quatre albums que l’on considère comme annonciateurs du genre de la bande dessinée. Les trois premiers, chez Aubert et Cie : Les Travaux d’Hercule (1847), Trois Artistes incompris et mécontents (1851) et Des-Agréments d’un voyage d’agrément (1851). Le quatrième, et le plus célèbre, paraît en 1854 dans une autre maison d’édition sous le titre d’Histoire pittoresque, dramatique et caricaturale de la Sainte Russie. Le point commun de ces quatre albums ? La création d’une nouvelle forme de récit qui allie texte écrit et images. Mais surtout leur caractère facétieux. Gustave Doré ouvre en effet la voie de la bande dessinée d’esprit satirique et parodique.
La petite maison d’édition 2024, basée à Strasbourg, ville natale de Gustave Doré, a eu l’idée de proposer une réédition de ses deux dernières histoires de « littérature en estampes », comme se plaisait à la définir Topffer. Si vous avez un esprit curieux, précipitez-vous sur ces deux albums. Ils regorgent d’inventions graphiques et narratives, que certains auteurs de B.D du siècle suivant n’ont pas manqué de reprendre et de développer.
Ainsi, Des-Agréments d’un voyage d’agrément se présente comme le carnet de voyage de monsieur César Plumet, commerçant en passementerie qui vient de prendre sa retraite, et qui décide un soir, après avoir assisté à une représentation de Guillaume Tell, de partir à la conquête des montagnes de la Suisse. Un projet qui n’enchante guère son épouse Vespasie. Elle craint en effet les chutes fatales dans « les abîmes sans fond » ! Mais son époux se montre inflexible, et le voilà parti pour des aventures dignes d’un Don Quichotte. Monsieur Plumet est en effet très souvent « abusé par une imagination trop brillante » comme se plaît à le répéter le narrateur. Sa naïveté sans bornes le conduit aussi à vivre des situations cocasses, dont il est le premier à rire !
Gustave Doré construit son personnage comme une figure caricaturale du bourgeois, reconnaissable à un indice vestimentaire : sa casquette, qui change de position en fonction de ses humeurs – un procédé que reprendra Uderzo pour le casque ailé d’Astérix. Autre trait caractéristique, et qui revient comme un leit-motiv dans l’album : les « grandes discussions sur la passementerie genevoise », le soir avant de s’endormir auprès de Vespasie. Et bien sûr, le ventre proéminent, signe de la fortune qu’il a accumulée au cours de sa carrière de négociant.
Les vingt-quatre planches qui composent cette histoire dessinée offrent une étonnante variation de mises en page. Le lecteur se retrouve constamment obligé d’adapter sa manière d’aborder la succession de ce que l’on peut bien appeler des vignettes, même si Gustave Doré ne leur donne pas la forme que nous leur connaissons aujourd’hui. Point de planches segmentées par un ensemble régulier d’images au format identique. Ici se mêlent images verticales et horizontales, pleines pages et miniatures, et même médaillons censés représenter la lorgnette au travers de laquelle Mme Plumet observe, depuis sa chambre d’hôtel, l’ascension du Mont Blanc par son courageux époux.
A l’occasion de la rétrospective que le musée d’Orsay organise sur Gustave Doré jusqu’au 11 mai prochain, la Bibliothèque Nationale de France s’est lancée dans un important travail de numérisation des lithographies de cet artiste. Vous pouvez ainsi feuilleter, sur le site de cette exposition virtuelle, les quarante-six planches qui composent le premier album imaginé par Doré : Les Travaux d’Hercule.
Exposition Gustave Doré (1832-1883). L’imaginaire au pouvoir jusqu’au 11 mai 2014 au Musée d’Orsay à Paris