30 Mar

Soleil brûlant en Algérie : La guerre du jeune soldat Alexandre Tikhomiroff mise en image par Gaétan Nocq

Soleil-brulant-en-AlgerieÀ l’époque, on ne parlait pas de guerre mais d’événements ou d’opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord. Il faudra attendre 1999 pour que l’État français adopte officiellement l’expression. Quoiqu’il en soit, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, la guerre d’Algérie a laissé des blessures profondes et des regrets éternels. En parler fut longtemps difficile, voire impossible, pour beaucoup. Avec le temps, la guerre a fini par être traitée par le cinéma, la littérature et la bande dessinée, même si cela reste finalement assez rare pour qu’on en signale chaque initiative. Comme celle-ci…

Réalisé par Gaétan Nocq d’après le récit autobiographique d’Alexandre Tikhomiroff, Soleil brûlant en Algérie raconte la guerre du jeune Alexandre, Tiko pour les intimes, débarqué sous le soleil brûlant d’Algérie à la fin de l’année 1956, précisément à Cherchell sur la côte ouest du pays. Sous le soleil brûlant ou plutôt, à ce moment précis, dans le froid polaire des nuits d’hiver. Mais Tiko aura tout le temps de faire le tour des saisons, deux fois, et de souffrir de la chaleur. Vingt-sept mois en tout et pour tout à jouer au soldat dans une école militaire où sont formés des officiers.

© Nocq

© Nocq

Simple troufion, Tiko est affecté au mess comme serveur. Et ce malgré ses idées. Tiko est contre la guerre. « Mon militantisme contre la guerre d’Algérie m’avait conduit à refuser de servir des gradés, surtout de haut rang. Mais la promesse d’un steak tendre, ajoutée à celle d’être loin des turbulences de la caserne et de ses astreintes morales me décida ».

Tiko n’a rien, absolument rien, du héros, « un spectateur ou un témoin tout au plus », dit-il de lui-même, juste un gars comme les autres qui n ‘a pas choisi de venir ici et qui compte bien revenir entier à la maison… entier, oui, mais pas pour reprendre une vie normale et oublier le cauchemar. Spectateur pendant la guerre, Tiko a décidé de devenir acteur de sa vie en retrouvant Paris. Avec ses amis, il tente de faire entendre une autre voix que celle de l’OAS, une voix pacifique qui refuse la fatalité de la guerre.

© Nocq

© Nocq

De Valenciennes à Cherchell, de Cherchell à Paris, Soleil brûlant en Algérie nous raconte la guerre d’Algérie d’un point de vue humain, à partir du regard d’un simple soldat. Avec ce livre, paru en 2009 chez L’Harmattan, Alexandre Tikhomiroff cherchait à témoigner mais aussi – quelque part – à oublier. Oublier ce qu’il a vu, entendu, ressenti. Oublier l’absurdité du quotidien, l’horreur et la gravité de certains événements.

En l’adaptant en bande dessinée, Gaétan Nocq savait qu’il allait réveiller chez Alexandre Tikhomiroff des souvenirs parfois pénibles, mais il permet aussi un travail de mémoire à chacun de nous, et c’est là l’essentiel. Soleil brûlant en Algérie n’est pas un livre d’histoire mais un témoignage historique à vocation documentaire. L’adaptation de Gaétan Nocq n’est pas sans rappeler La Guerre d’Alan d’Emmanuel Guilbert. Le trait est plus léger, plus fébrile, plus vulnérable en somme, avec une luminosité qui tend vers la surexposition. « J’ai essayé de mettre de la couleur dans ce noir et blanc et j’espère que ça se voit », confie l’auteur. Peintre, dessinateur, graphiste et enseignant, Gaétan Nocq est avant tout un voyageur et un carnettiste qui a développé un trait pris sur le vif, idéal pour nous plonger pleinement dans cette petite histoire de la grande Histoire. Passionnant !

Eric Guillaud

Soleil brûlant en Algérie, de Gaétan Nocq d’après le récit d’Alexandre Tikhomiroff. Editions La Boîte à bulles. 20 €

© Nocq

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30 Juin

Chronique d’été : Joël Alessandra, un petit-fils d’Algérie

9782203093997C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode no-stress et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Sa famille faisait-elle partie des « racistes affameurs » ? C’est à cette question grave et essentielle que Joël Alessandra compte bien apporter une réponse lorsqu’il décide de s’envoler pour Constantine, la ville de ses ancêtres. C’est la première fois qu’il met les pieds là-bas, invité par l’Institut français. Pour lui, l’Algérie s’arrête aux souvenirs racontés par la famille, au couscous du dimanche et à quelques photographies jaunies. Un pays qui l’impressionne forcément par son histoire, par le terrorisme, par la pauvreté aussi et les élites corrompues. Un cliché ? Pas tant que ça. Pendant tout son séjour, Joël est encadré par un guide, parfois des policiers. Le petit-fils de pied noir est avant tout un Français, un occidental, une cible potentielle.

« Les tiens étaient tout sauf racistes… », lui confie une Algérienne qui fut proche de la famille, « ils parlaient couramment arabe ! Is aimaient l’Algérie, ils aimaient les Algériens ». Le voici soulagé, presque fier. En cherchant les traces de son passé familial, ici une maison, là un cinéma que son grand-père architecte a construit, là encore le caveau familial, Joël découvre une autre Algérie, presque apaisée, qui s’est peut-être décidée à faire la paix avec son histoire, si douloureuse soit-elle. Quête d’identité pour l’auteur, récit de voyage ou visite guidée pour le lecteur, Petit-fils d’Algérie paru en avril chez Casterman est un très beau roman graphique qui se savoure page après page, vignette après vignette. Le dessin d’Alessandra est un pur bonheur, il respire l’Algérie, restituant sa lumière, ses couleurs, presque ses odeurs…

Et si vous êtes sous le charme de cet album, je vous conseille L’Algérie c’est beau comme l’Amérique d’Olivia Burton et Mahi Grand. C’est un peu la même histoire mais bien évidemment racontée d’une autre manière. L’album est paru en janvier de cette année aux éditions Steinkis.

Eric Guillaud

Petit-fils d’Algérie, de Alessandra. Editions Casterman. 19 €

© Casterman / Alessandra

© Casterman / Alessandra