À l’époque, on ne parlait pas de guerre mais d’événements ou d’opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord. Il faudra attendre 1999 pour que l’État français adopte officiellement l’expression. Quoiqu’il en soit, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, la guerre d’Algérie a laissé des blessures profondes et des regrets éternels. En parler fut longtemps difficile, voire impossible, pour beaucoup. Avec le temps, la guerre a fini par être traitée par le cinéma, la littérature et la bande dessinée, même si cela reste finalement assez rare pour qu’on en signale chaque initiative. Comme celle-ci…
Réalisé par Gaétan Nocq d’après le récit autobiographique d’Alexandre Tikhomiroff, Soleil brûlant en Algérie raconte la guerre du jeune Alexandre, Tiko pour les intimes, débarqué sous le soleil brûlant d’Algérie à la fin de l’année 1956, précisément à Cherchell sur la côte ouest du pays. Sous le soleil brûlant ou plutôt, à ce moment précis, dans le froid polaire des nuits d’hiver. Mais Tiko aura tout le temps de faire le tour des saisons, deux fois, et de souffrir de la chaleur. Vingt-sept mois en tout et pour tout à jouer au soldat dans une école militaire où sont formés des officiers.
Simple troufion, Tiko est affecté au mess comme serveur. Et ce malgré ses idées. Tiko est contre la guerre. « Mon militantisme contre la guerre d’Algérie m’avait conduit à refuser de servir des gradés, surtout de haut rang. Mais la promesse d’un steak tendre, ajoutée à celle d’être loin des turbulences de la caserne et de ses astreintes morales me décida ».
Tiko n’a rien, absolument rien, du héros, « un spectateur ou un témoin tout au plus », dit-il de lui-même, juste un gars comme les autres qui n ‘a pas choisi de venir ici et qui compte bien revenir entier à la maison… entier, oui, mais pas pour reprendre une vie normale et oublier le cauchemar. Spectateur pendant la guerre, Tiko a décidé de devenir acteur de sa vie en retrouvant Paris. Avec ses amis, il tente de faire entendre une autre voix que celle de l’OAS, une voix pacifique qui refuse la fatalité de la guerre.
De Valenciennes à Cherchell, de Cherchell à Paris, Soleil brûlant en Algérie nous raconte la guerre d’Algérie d’un point de vue humain, à partir du regard d’un simple soldat. Avec ce livre, paru en 2009 chez L’Harmattan, Alexandre Tikhomiroff cherchait à témoigner mais aussi – quelque part – à oublier. Oublier ce qu’il a vu, entendu, ressenti. Oublier l’absurdité du quotidien, l’horreur et la gravité de certains événements.
En l’adaptant en bande dessinée, Gaétan Nocq savait qu’il allait réveiller chez Alexandre Tikhomiroff des souvenirs parfois pénibles, mais il permet aussi un travail de mémoire à chacun de nous, et c’est là l’essentiel. Soleil brûlant en Algérie n’est pas un livre d’histoire mais un témoignage historique à vocation documentaire. L’adaptation de Gaétan Nocq n’est pas sans rappeler La Guerre d’Alan d’Emmanuel Guilbert. Le trait est plus léger, plus fébrile, plus vulnérable en somme, avec une luminosité qui tend vers la surexposition. « J’ai essayé de mettre de la couleur dans ce noir et blanc et j’espère que ça se voit », confie l’auteur. Peintre, dessinateur, graphiste et enseignant, Gaétan Nocq est avant tout un voyageur et un carnettiste qui a développé un trait pris sur le vif, idéal pour nous plonger pleinement dans cette petite histoire de la grande Histoire. Passionnant !
Eric Guillaud
Soleil brûlant en Algérie, de Gaétan Nocq d’après le récit d’Alexandre Tikhomiroff. Editions La Boîte à bulles. 20 €