12 Juil

Pages d’été : Un maillot pour l’Algérie ou l’histoire de combattants en short racontée par Rey, Galic et Kris

kSC98R5cmgH57R33hvf9AICXWOMvLkaw-couv-1200C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode détente et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Un instant, je me suis demandé s’il était opportun de parler de cette bande dessinée au lendemain de la défaite des Bleus face au Portugal. Un instant seulement. Car, si Un Maillot pour l’Algérie parle de football, il parle aussi et surtout de la lutte du peuple algérien pour son indépendance, sa liberté. Et nous rappelle que le football, le sport plus généralement, a parfois d’autres enjeux qu’une simple victoire dans un tournoi. Nous sommes en 1958, à la veille d’un autre grand rendez-vous footballistique, la Coupe du monde. Nous sommes aussi en pleine guerre d’indépendance de l’Algérie, de simples « événements » comme on les désigne à l’époque du côté français. Et c’est à ce moment précis que douze footballeurs algériens en contrat avec des clubs français de Première Division décident de rejoindre les rangs du FLN pour créer la première équipe nationale de ce qui n’est pas encore un pays, l’Algérie.

Parmi ces douze joueurs, on trouve Mokhtar Arribi (entraîneur à Avignon), Abdelhamid Kermali (Lyon), Abdelhamid Bouchouk (Toulouse), Mustapha Zitouni (Monaco), Amar Rouäi (Angers) ou encore Rachid Mekhloufi (Saint-Etienne). Tous quittent la France en avril 1958 et se retrouvent à Tunis pour lancer cette équipe de combattants d’un genre nouveau, une bande de révolutionnaires en short que d’autres rejoindront par la suite…

Entre 1958 et 1962, année des Accords d’Evian et de l’indépendance de l’Algérie, l’équipe du FLN aura joué 83 matchs pour 57 victoires et 14 nuls, marqué 349 buts pour 119 encaissés. Elle aura surtout représenté un peuple en lutte et une certaine idée de la liberté un peu partout sur la planète, depuis le Maroc jusqu’au Vietnam, en passant par l’Irak, la Roumanie ou encore la Russie.

Si comme moi, vous n’êtes pas assez passionné par le football pour en connaître son histoire dans les moindres détails, Un maillot pour l’Algérie vous permettra d’en découvrir un épisode étonnant, une aventure incroyable mettant en scène non pas des guerriers ou des terroristes, mais de simples footballeurs qui vont se battre pour l’indépendance avec leur talent et un ballon pour unique arme. Le résultat est passionnant, parfois surprenant, toujours très documenté, raconté et mis en images avec passion par trois vrais fans du ballon rond, le Bruxello-barcelonais Javi Rey et les deux Bretons Bertrand Galic et Kris.

Vous avez aimé Invictus de Clint Eastwood ? Alors vous aimerez Un maillot pour l’Algérie. Tous deux, dans des contextes très différents, démontrent avec force que le sport fait partie intégrante de nos sociétés, de notre histoire commune…

Eric Guillaud

Un maillot pour l’Algérie, de Galic, Kris et Rey. Editions Dupuis. 24 €

L’info en + Un dossier documentaire d’une quinzaine de pages accompagne le récit en bande dessinée. On y trouve une chronologie, une présentation des footballeurs algériens, une interview de Rachid Mekhloufi, des photos… pour un éclairage complet du contexte.

© Dupuis / Rey, Galic et Kris

© Dupuis / Rey, Galic et Kris

30 Juin

Chronique d’été : Joël Alessandra, un petit-fils d’Algérie

9782203093997C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode no-stress et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Sa famille faisait-elle partie des « racistes affameurs » ? C’est à cette question grave et essentielle que Joël Alessandra compte bien apporter une réponse lorsqu’il décide de s’envoler pour Constantine, la ville de ses ancêtres. C’est la première fois qu’il met les pieds là-bas, invité par l’Institut français. Pour lui, l’Algérie s’arrête aux souvenirs racontés par la famille, au couscous du dimanche et à quelques photographies jaunies. Un pays qui l’impressionne forcément par son histoire, par le terrorisme, par la pauvreté aussi et les élites corrompues. Un cliché ? Pas tant que ça. Pendant tout son séjour, Joël est encadré par un guide, parfois des policiers. Le petit-fils de pied noir est avant tout un Français, un occidental, une cible potentielle.

« Les tiens étaient tout sauf racistes… », lui confie une Algérienne qui fut proche de la famille, « ils parlaient couramment arabe ! Is aimaient l’Algérie, ils aimaient les Algériens ». Le voici soulagé, presque fier. En cherchant les traces de son passé familial, ici une maison, là un cinéma que son grand-père architecte a construit, là encore le caveau familial, Joël découvre une autre Algérie, presque apaisée, qui s’est peut-être décidée à faire la paix avec son histoire, si douloureuse soit-elle. Quête d’identité pour l’auteur, récit de voyage ou visite guidée pour le lecteur, Petit-fils d’Algérie paru en avril chez Casterman est un très beau roman graphique qui se savoure page après page, vignette après vignette. Le dessin d’Alessandra est un pur bonheur, il respire l’Algérie, restituant sa lumière, ses couleurs, presque ses odeurs…

Et si vous êtes sous le charme de cet album, je vous conseille L’Algérie c’est beau comme l’Amérique d’Olivia Burton et Mahi Grand. C’est un peu la même histoire mais bien évidemment racontée d’une autre manière. L’album est paru en janvier de cette année aux éditions Steinkis.

Eric Guillaud

Petit-fils d’Algérie, de Alessandra. Editions Casterman. 19 €

© Casterman / Alessandra

© Casterman / Alessandra

17 Juin

L’Etranger par Jacques Ferrandez

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

L’Etranger de Camus par Jacques Ferrandez ou quand la BD retourne aux sources de la littérature avec brio. L’auteur, pied noir, connu pour ses Carnets d’Orient, Alger la Noire et son goût pour les adaptations d’œuvres littéraires. Pagnol, Benacquista, Pennac se sont déjà retrouvés transformés sous ses crayons, ou encore Camus, déjà, avec L’hôte (une nouvelle tirée de L’Exil et le Royaume) Un auteur pour lequel son sens du découpage et la beauté de ses aquarelles font merveilles.

« L’Étranger, c’est l’histoire d’un homme condamné à mort pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère. » aimait à répéter Albert Camus.

En cette année de célébration du centenaire de la naissance du prix Nobel 1957, Jacques Ferrandez s’attaque à nouveau à un de ses textes, certainement l’un des plus connus à travers le monde : L’Etranger. Et c’est loin d’être un hasard, puisque Ferrandez connait intimement Camus.

« Beaucoup de choses, et depuis longtemps en effet, me lient à Camus. Il me semble que j’ai grandi avec. Je suis né dans le quartier populaire de Belcourt, à Alger, et mes grands parents avaient un petit magasin de chaussures au 96 rue de Lyon. Albert Camus a passé toute son enfance et son adolescence au 93, en face. Ma grand-mère paternelle et sa mère étaient de la même génération. D’origine espagnole toutes deux, elles se connaissaient en tant que voisines. »

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

« Le trajet entre Belcourt et le Lycée Bugeaud, à l’autre bout d’Alger, que Camus raconte dans son livre Le premier Homme, mon père, qui a fréquenté le même lycée venant du même quartier, me l’avait raconté presque avec les mêmes mots. Son appartenance à l’Algérie, son déchirement au moment de la guerre d’Indépendance, tout cela me touche 
beaucoup. »

« Camus m’a beaucoup inspiré tout au long de mes Carnets d’Orient et, avant d’adapter L’Hôte, je lui avait déjà rendu hommage sous forme d’exergue dans mes précédents albums. Dans La Guerre fantôme, j’ai même mis en scène la séquence où Camus lance à Alger son appel à la trêve civile, en janvier 1956 …»

« Aujourd’hui, maman est morte. … ou peut-être hier, je ne sais pas … »

Difficulté première : comment faire avec le long monologue de Meursault, le personnage central de L’Etranger ? Jacques Ferrandez choisit de faire dialoguer son personnage avec les autres protagonistes, mais tout en revendiquant de ne pas avoir pris un seul mot qui n’appartienne à Camus.

La seconde difficulté a été de donner un visage à un héros de la littérature dont la célébrité dépasse le cadre géographique de la France.

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

« Impossible de ne pas reprendre le célèbre incipit du roman : “Aujourd’hui, Maman est morte.” Mais je ne savais pas comment l’installer dans le récit. Je ne souhaitais pas garder de voix off : c’est de la bande dessinée, il faut dialoguer les situations pour les rendre vivantes. J’ai donc dû trouver une astuce. Albert Camus m’a fourni la solution : son héros s’assoupit dans le bus, quelques pages plus loin. J’ai profité de cette situation pour opérer un retour en arrière dialogué, et conserver ensuite cette forme de narration. J’ai choisi de faire de Meursault un homme jeune. Pour moi, L’Etranger est un roman sur la jeunesse, il pointe un refus du mensonge et des règles de la société. J’ai pensé à James Dean ou Gérard Philipe pour créer mon héros. Comme je dessine l’intrigue au fur et à mesure, mon trait évolue : au début, je cherche mes personnages, je peine à les rendre ressemblants d’une case à l’autre. Cela va finalement bien à Meursault, qui est si difficilement cernable… » (propos recueillis par Télérama)

Ses aquarelles lumineuses restituent élégamment des paysages écrasés de chaleur, où se déroule un drame sourd : l’indéchiffrable Meursault a tué un homme, et va être condamné à mort. Mais le jury est-il plus sensible à cet assassinat, ou à l’indifférence affichée de l’accusé lors de l’enterrement de sa mère ?

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

Cette intention de mettre en scène « l’absurde » est parfaitement retransmise par l’adaptation. Surtout, elle n’étouffe jamais le texte et laisse l’œuvre de Camus respirer. Tout les questions que se posent cet étranger à soi et au monde sont là : l’amour, Dieu, la famille, la morale, celles-là même sur lesquelles sont fondées nos sociétés.

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

Le soleil d’Algérie, les plages de Tipaza, les rues d’Alger, la lumière aveuglante avant le drame d’une noirceur insondable. Tout est là dans chacune des planches de Ferrandez, la chaleur étouffante, l’atmosphère et les décors chers à Camus.

Jacques Ferrandez - Photo (c) Isabelle Franciosa

« Je me suis amusé à faire des clins d’œil : le procureur ressemble fort à Jean-Jacques Brochier, un intellectuel parisien dans la mouvance de Jean-Paul Sartre, qui avait qualifié Albert Camus de « philosophe pour classe de terminale ». Et j’ai fait à Céleste – le patron du restaurant où Meursault a ses habitudes – la tête de William Faulkner, pour lequel Camus avait beaucoup d’admiration. Un peu plus loin, j’ai transformé Sartre en journaliste agressif venu de Paris… Une façon de venger Camus, en quelque sorte ! » (propos recueilli par Télérama)

Bref  Jacques Ferrandez confirme son statut majeur dans le monde du 9ème art. Cette bande dessinée est une des plus grandes réussites en la matière, une adaptation qui donne envie de relire l’œuvre de Camus et plus…

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La BO à se mettre entre les oreilles pour prolonger le plaisir de cette BD :

Killing an arab par The Cure (chanson inspirée du roman de Camus et très mal comprise à l’époque de sa sortie en 1978)

Pour en savoir plus sur Jacques Ferrandez

Pour lire les premières planches : Gallimard

Le point de vue le presse spécialisée : BDgest PlanéteBD Télérama