En 2006, la scène d’ouverture du film Casino Royale saluait non seulement l’arrivée de Daniel Craig dans le rôle de James Bond mais aussi d’un nouveau ton, plus réaliste, plus violent. Oui, un agent secret doit se salir les mains, tuer s’il le faut et obéir aux ordres, les soirées cocktails et les belles voitures restant en option. C’est également le constat de la nouvelle série du créateur de Kingsman à la violence débridée.
C’est une des idées derrière King Of Spies, la nouvelle œuvre du scénariste Mark Millar qui s’y connaît rayon services secrets, lui qui nous avait tant amusés avec Kingsman et les adaptations ciné qui allaient avec. Les codes sont donc respectés : le protagoniste principal Roland King est une sorte de super-agent à l’aise aussi dans un club feutré un verre de cognac à la main qu’avec une arme à la main, il a accès à quantité de gadgets plus mortels les uns que les autres et malgré le fait que cette mini-série ne compte que quatre épisodes, elle comptabilise un nombre impressionnants de fusillades et de morts.
Sauf que King, dont les beaux jours sont derrière lui, apprend en préambule qu’il a une tumeur au cerveau et qu’il ne lui reste que six mois à vivre. Il se rend alors compte un peu tard qu’en plus d’avoir ruiné sa vie de famille et d’avoir des enfants qui soit ne le connaissent carrément pas, soit refusent de lui parler, il a aussi pendant trop longtemps accepté de faire le sale job pour des puissants qui ne voulaient se salir les mains et trop souvent obéi sans réfléchir, quitte à éliminer des innocents. L’heure est donc venue de faire le ménage et ça va saigner. Beaucoup.
En businessman désormais très avisé, Millar a désormais une méthode bien rôdée qu’il applique ici aussi : la vente d’un concept commun, télé ou ciné plus BD. King Of Spies a donc été simultanément été mis sur les rails pour une série prévue sur une grande chaîne de streaming et une bande dessinée, avec ici le très talentueux Matteo Scalera aux dessins.
Le résultat est très dynamique et très cinématique, sorte de script avant l’heure bien aidé par le style frénétique de Scalera, dont on avait déjà remarqué la patte sur le White Knight Presents : Harley Quinn. Cela va à 400 à l’heure et cela ne retient à aucun moment ses coups, quitte à (volontairement) tombé dans l’excès d’hémoglobine. Millar n’est d’ailleurs clairement pas là pour faire réaliste, d’où un (anti)héros pourtant sexagénaire échappant à des centaines de soldats surentrainés lancés à sa poursuite, sautant d’un avion en flamme avant de déclencher son parachute au dernier moment ou kidnappant le pape en plein Vatican. On a en fait affaire à une sorte de synthèse de James Bond, Mission : Impossible et Fast & Furious en mode zapping, avec une (vague) réflexion sur l’âge et ce que l’on choisit de laisser aux siens comme héritage. Oui, les deux ne vont pas vraiment ensemble et c’est vrai que sur ce second sujet, Millar ne fait pas vraiment dans la finesse.
Mais cela n’empêche le ‘produit’ King Of Spies de réussir son objectif, devenir l’équivalent BD de ces gros blockbuster américain style True Lies qui ont bercé notre adolescence. Sauf qu’il le fait sans s’embêter avec le politiquement correct, le résultat affichant d’ailleurs une violence graphique ne faisant pas dans la dentelle. Mention spéciale au duo de tueurs frère/sœur attachés ensemble car le premier a perdu ses jambes et la seconde ses bras à cause de King.
Pas sûr d’ailleurs que la série télé qui va en découler puisse se permettre autant et bonne chance pour trouver l’acteur qui réussira à incarner ce King plein de contradictions, viril en même temps que vieillissant, classieux mais aussi infect, tour-à-tour violent et attendrissant etc. Raison de plus pour profiter de la BD !
Olivier Badin
King Of Spies de Mark Millar & Matteo Scalera. Panini Comics. 19 €