Cette histoire signée Flore Balthazar parue dans la prestigieuse collection Aire Libre des éditions Dupuis se déroule pendant la seconde guerre mondiale, mais elle ne raconte pas frontalement la guerre, elle raconte le quotidien d’une famille, et plus précisément encore le quotidien de femmes belges sous l’occupation, des femmes ordinaires… ou presque.
Des femmes ordinaires ou presque car oui, peut-on rester ordinaire lorsque le contexte ne l’est pas ? Pour la deuxième fois dans l’histoire du XXe siècle, l’Allemagne envahit la Belgique ignorant par la-même la neutralité déclarée du pays. Nous sommes le 10 mai 1940. Commencent dès lors pour les Belges, comme pour les Français, de longues années d’occupation avec leur lot de privations, d’humiliations, d’inquiétudes et de douleurs.
Dans la famille Balthazar qui n’est autre que la famille de l’auteure, la vie était plutôt douce avant cette invasion. Terminées les virées à Bruxelles en famille pour la Saint-Nicolas, terminées les gaufres et autres douceurs, l’heure est désormais aux restrictions et à la mobilisation générale. Le père ressort son vieil uniforme du placard et rejoint le front. La mère reste avec les cinq enfants et la grand-mère, obligée de trouver un deuxième emploi pour subvenir aux besoins de la famille et pallier l’absence du père. C’est ce quotidien effectivement ordinaire mais rythmé par les événements que nous permet de suivre Les Louves.
© Dupuis / Balthazar
« Je me pose souvent la question : comment vivent les gens ? », explique l’auteure, « La vie quotidienne constitue un sujet inépuisable, si on le raconte bien. En temps de guerre comme en temps de paix finalement. Dans le cas de ma famille, la question qui m’intéressait était de comprendre comment une femme ( son arrière grand-mère, ndlr) avec cinq enfants et un mari prisonnier en Allemagne a-t-elle tenu le coup durant le conflit ? C’était une personnalité peu commune, elle avait une grande force de caractère. »
Non seulement, les femmes font tourner la boutique mais elles se révoltent aussi contre l’occupant. Pas toujours de manière spectaculaire mais avec courage tout de même. Et là, on n’est plus tout à fait dans le quotidien. Des V de la victoire graffités ici, des insignes patriotiques arborés là pour commémorer la victoire de 1918, des journaux anti-Allemands distribués sous le manteau et même quelques actions de renseignement effectuées pour le compte des forces alliées, les femmes sont loin d’être restées inactives. Flore Balthazar l’illustre parfaitement dans son récit.
« Quelque part, je me mets dans une solution de facilité en faisant des femmes le centre de mon récit… », explique-t-elle, « car il m’est plus facile de m’y identifier. Je suis à l’aise pour manier des personnages féminins. Et leurs rôles dans la société belge occupée m’ouvraient pas mal de perspectives au point de vue du scénario »
Des faits réels, des personnages ayant existé, une histoire adaptée du journal de la grand-mère Marcelle Balthazar alors adolescente et – tout de même – une petite part de fiction pour lier le tout, c’est la recette magique de Flore Balthazar pour cet album.
« Le journal de Marcelle a été une référence, sa reconstitution a été minutieusement respectée, jusque dans les dialogues. Mais il y a tout de même un travail d’adaptation. Puisque l’on passe d’un format à l’autre, le langage est différent. Ma recette a donc été de mélanger des souvenirs de famille à des faits réels, transformés, comme le personnage de Marguerite Clauwaerts, inspiré de la résistante belge Marguerite Bervoets. Finalement, Les Louves est devenu une fresque qui montre toutes les possibilités d’une femme durant la Seconde guerre mondiale en Belgique ».
Avec une petite touche de féminisme, les femmes de Flore Balthazar travaillent, résistent, prennent leur autonomie et s’impliquent dans les affaires du monde avec l’espoir d’un juste retour des choses. « Tu vas voir qu’ils vont nous faire le coup de 14-18 : on va travailler dans leurs usines et après, ils nous renverront à la maison! », s’exclame une des protagonistes.
Et la guerre ? On ne la voit pas réellement finalement, on la devine, on la sent, on croise ici et là quelques uniformes français, belges, allemands, puis américains, on voit passer un camion rempli de cadavres. On en ressent surtout les effets, et c’est là où le travail de Flore Balthazar est exemplaire, l’auteure souhaitait rester pudique sur la violence, elle s’en tient à décrire le quotidien loin des champs de bataille, c’est l’absence des hommes, le règne de la débrouille, la peur au ventre, les sirènes, le froid, la colère, la révolte, la résistance et la mort parfois… Et puis il y a ce bombardement de mars 44 qui détruit le quartier du Parc de Louvière où habite justement la famille Balthazar et rappelle que la guerre n’épargne personne.
Trois ans de travail ont été nécessaires à Flore Balthazar pour mener à bien cette aventure graphique. L’auteure de Miss Annie (Dupuis) ou encore de Frida Kahlo (Delcourt) signe à l’arrivée un magnifique album de 180 pages au graphisme vivant et sensible, une petite histoire de la grande histoire, une fiction aussi essentielle pour la mémoire collective qu’un documentaire.
Eric Guillaud
Les Louves, de Flore Balthazar. Éditions Dupuis. 18€ ou 32€ pour l’édition spéciale