Au milieu de la foultitude d’albums publiés chaque mois, certaines couvertures nous interpellent plus que d’autres, pour un mot, un dessin, un personnage, une couleur. C’est le cas de Salto. Pour toutes ces raisons et pour une autre encore, essentielle, une atmosphère mystérieuse, un personnage encapuchonné, lunettes noires sous la pluie, transformé en perchoir pour quelques oiseaux locaux. Mais que peut bien nous raconter ce livre ? Une simple histoire de marchand de bonbons, comme le suggère le sous-titre ?
Pas tout à fait. Salto est l’histoire d’un saut périlleux. El Salto en espagnol. Un saut dans le vide, dans l’inconnu. Tout commence sur les bords de la Méditerranée, à Castellón de la Plana précisément, près de Valence. Miquel y est effectivement vendeur-livreur de bonbons mais plus pour très longtemps. Son patron en a assez de ses facéties et finit par le virer. Rêveur limite ado attardé, insouciant, voire parfois inconscient, Miquel se retrouve sans boulot, sans un sou. Lui qui se voyait écrivain mais désespère de ne pas avoir une vie romanesque décide un beau jour d’embarquer femmes et enfants dans une nouvelle aventure, un changement de vie radical. Direction le Pays Basque où Miquel devient garde du corps de personnalités menacées par l’ETA. Un chien comme on les appelle alors dans la région.
« Tout ce que tu dois avoir, c’est du courage… », lui dit son nouveau boss, « le reste, tu l’apprendras sur le tas ». Miquel apprendra surtout qu’avec ce genre de boulot, tu n’as plus de vie privée et au bout d’un moment plus de femme, plus d’enfants. Le vide. Miquel se retrouve seul avec son arme et sa mission quasi-divine. Une descente en enfer qui ne fait que commencer…
De Judith Vanistendael, nous disions à la sortie de son album David, les femmes et la mort qu’elle explorait l’invisible, l’intime, avec beaucoup de délicatesse, une touche de poésie et un sens de la tragédie exceptionnel. Inutile de changer un mot, une virgule, Salto est un album époustouflant qui commence comme une comédie colorée, enjouée, et se termine dans la tragédie la plus sombre. Cette histoire est celle de Mark Bellido que Judith a rencontré il y a quelques années sur le chemin de Compostelle.
J’ai trouvé son histoire fascinante. Et comme j’avais envie de devoir dessiner des choses que je ne dessine pas normalement, de changer mes horizons, une histoire de garde du corps – avec des voitures et des flingues – me paraissait idéale !
Ne vous méprenez pas cependant, Salto relève plus du psychologique que de l’action. Avec un certain courage, ou un courage certain, Judith nous parle de l’ETA, de cette « terreur généralisée » dans laquelle les terroristes ont maintenu le pays pendant des années. « Cette même terreur… », poursuit-elle, « qui est entrée dans mon quotidien au cours de l’année passée. J’habite Molenbeek, à Bruxelles. Cela a été une expérience assez intense de travailler sur un livre qui parle de la terreur dans ce contexte ».
Un livre radicalement indispensable. Parution le 10 juin.
Eric Guillaud
Salto, de Judith Vanistendael et Mark Bellido. Editions Le Lombard. 22,50€