27 Juil

Clichés de Bosnie, un récit d’Aurélien Ducoudray et de François Ravard aux éditions Futuropolis

Avant d’être auteur de bande dessinée, Aurélien Ducoudray était journaliste et notamment photographe de presse pour un quotidien de province. C’est justement dans les colonnes de celui-ci qu’il prend connaissance du départ imminent d’un camion humanitaire pour la Bosnie. Nous sommes en 2004. Aurélien entre immédiatement en contact avec les bénévoles de la mission et parvient à se joindre à eux. 56 heures de route, 1700 kilomètres et 4 frontières plus loin, Aurélien découvre un pays encore profondément marqué, traumatisé, par la guerre…

Bien sûr, dès les premières pages, Clichés de Bosnie ne peut que nous faire penser à la trilogie du Photographe (éd. Dupuis) d’Emmanuel Guibert et de Didier Lefèvre sauf qu’ici, le travail du photographe, en l’occurrence d’Aurélien, n’est pas réellement au centre des préoccupations, même si Aurélien se met en scène dans le récit et même si quelques-une de ses photographies sont réunies dans un cahier spécial en fin d’album. L’idée de départ était bel et bien de réaliser un reportage sur la Bosnie pour son journal. Huit ans après, le reportage se transforme en bande dessinée-reportage sous la plume d’Aurélien et le pinceau de François Ravard. Suivant les préconisations du grand Robert Capa qui disait  « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près » ou encore « Aime les gens et fais leur savoir », Aurélien Ducoudray et François Ravard nous offrent un témoignage particulièrement fort sur la Bosnie, les Bosniaques, la guerre et ses conséquences… le tout avec beaucoup de proximité, d’humanité et d’humour. EGuillaud

Clichés de Bosnie, d’Aurélien Ducoudray et François Ravard. Editions Futuropolis. 27 euros

07 Déc

Interview d’Etienne Davodeau à l’occasion de la sortie de l’album Les Ignorants

Ne cherchez pas de super-héros dans les livres d’Etienne Davodeau, il n’y en a pas ! Ce qui intéresse avant tout cet auteur installé dans le Maine et Loire, c’est d’explorer le réel, la vie de tous les jours, le travail des gens ordinaires. Avec son nouvel album, Les Ignorants, il raconte une double initiation, celle d’un vigneron à la bande dessinée et celle d’un auteur à la viticulture. Rencontre…

Tout d’abord, pouvez-vous nous dire un mot sur votre rencontre avec le vigneron Richard Leroy ? Peut-être vous connaissiez-vous avant ce projet ?

Etienne Davodeau. Je le connaissais en tant que voisin, nous vivons dans le même village. Nous sommes rapidement devenus amis. C’est la façon, radicale et vivante, dont il parlait de son travail qui m’a incité à aller vers lui. En l’écoutant, je me disais souvent que sa description du milieu du vin aurait pu s’appliquer à celui de la bande dessinée.

Parler de son métier, de son travail, n’est pas une évidence pour tout le monde. Est-ce que la proposition de cette initiation croisée a été tout de suite acceptée et comprise (dans la démarche) par Richard Leroy ?

E.D. La réaction de Richard a été exactement celle que je raconte dans les deux premières pages du livre. Ma proposition – je j’ignorais alors – coïncidait avec un moment où il avait envie, pour sa famille, pour ses proches, de « raconter son travail ». Il a aussi fallu qu’il accepte de consacrer du temps à la découverte de la bande dessinée.

A-t-il joué le jeu comme vous l’espériez ? Et vous-même, pensez-vous avoir été à la hauteur de ses attentes ?

E.D. Il aurait été difficile pour moi qu’il laisse tomber l’expérience au bout de six mois sous le prétexte qu’elle l’emmerdait. Non seulement le risque ne s’est jamais présenté, mais je dois avouer que la tenue de ce livre doit beaucoup à son implication sans faille, qui est allée bien au-delà de ce que j’espérais. Pour ce qui me concerne, si je peux sans doute faire un ouvrier viticole potable, mes aptitudes à la dégustation ont souvent consterné mon patron vigneron. On s’est bien amusés.

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Lire la chronique de l’album ici

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Auriez-vous pu transposer « Les Ignorants » dans un autre domaine que la viticulture ?

E.D. Certainement. Mais se serait-on amusés autant ?

Au final, qu’avez-vous retiré de cette expérience ?

E.D. J’ai découvert l’invraisemblable complexité du métier de vigneron tel que le pratiquent ces mecs-là. C’est aussi un très rude métier, qui met le corps à l’épreuve. Au final, ce sont les rencontres qui me resteront en mémoire: Richard Leroy fasciné par le rapport qu’entretient Emmanuel Guibert avec ses livres, les moments magiques passés dans les vignes et la cave de Jean-François Ganevat…

Dans une interview de mars 2010 accordée au site evene.fr, vous disiez refuser l’étiquette de militant. Comment vous définissez-vous alors ? Journaliste ? Documentariste ?

E.D. Très simplement, je me définis comme auteur de bande dessinée. Point. Je pratique une bande dessinée de fiction (Chute de vélo, Lulu femme nue) ou pas (Les mauvaises gens, Les Ignorants). Et j’aime bien l’idée qu’on ne parvienne pas à étiqueter précisément ce genre de livres. Journaliste, sûrement pas. Auteur, oui. J’ai juste envie d’emmener la bande dessinée où elle va encore peu -le récit du réel, du quotidien- . Je suis persuadé qu’elle a, pour explorer ces domaines, des aptitudes qu’on sous-estime encore.

Le réel est effectivement omniprésent dans votre œuvre. Souvent, vos personnages sont des gens ordinaires, parfois des losers magnifiques comme vous dites. Rassurez-nous, Richard Leroy fait plutôt partie des gens ordinaires ?

E.D. Richard Leroy est un homme qui a empoigné son destin à deux mains et qui se consacre avec passion à la tâche qu’il s’est librement assignée: écouter, comprendre et accompagner trois hectares de coteaux pierreux plantés de chenin dont il donnera le vin à boire à d’autres êtres humains. Et la rencontre avec ces gens est la finalité réelle de ce projet. Ça me semble un projet de vie infiniment respectable. Ordinaire si on veut, exigeant sûrement, racontable, certainement.

Vous aimez mettre en exergue les petites choses de la vie, celles qu’on a tous les jours sous nos yeux et qu’on finit par ne plus voir. Quelles peuvent être ici ces fameuses petites choses…

E.D. Elles sont là, près de nous. Elles nécessitent juste une sorte d’acuité qui nous permettra d’en comprendre la valeur. Je suis à peu près convaincu que dans chaque vie humaine, on trouverait une histoire digne d’être racontée. Un exemple? Élever des enfants, cette expérience « banale », n’est ce pas aussi parfois une sorte de vaste saga pleine de coups de théâtre, d’émotions diverses et de suspens?

Pour la première fois peut-être, votre album suscite moins la réflexion que la curiosité. Qu’est ce qui vous intéressait de découvrir au départ ? Qu’est ce que ous avez vu au final ? Certains considèrent Rural comme plus militant avec une histoire d’agriculteurs qui souhaitent se lancer dans le bio et qui sont dans le même temps confrontés à un projet d’autoroute devant traverser leurs terres ?

E.D. « Les ignorants » est conçu comme un pari. Je m’y suis lancé sans rien avoir préparé. Au départ, n’existait en moi qu’une sorte d’intuition qui, si elle se vérifiait, mettrait en évidence des points de contact entre ces deux pratiques: faire du vin, faire des livre. J’avais plus de questions que de réponses. Mes questions étaient: pourquoi consacrer sa vie à faire du vin, des livres? Pour qui les fait-on?

Par ailleurs, si j’aime raconter des expériences militantes (et je ne suis pas sûr que celle de Richard ne le soit pas!) je n’ai jamais considéré mes livres eux-mêmes comme « militants ». La question de savoir lequel l’est plus que l’autre est donc, à mes yeux, sans objet.

Quelles sont vos influences ? Des auteurs de bande dessinée ? Des documentaristes ? Des militants ? Des gens ordinaires ?

E.D. Elles sont multiples et variées. Par exemple, le travail de Daniel Mermet, homme de radio, n’est pas pour rien dans ma façon de faire de la bande dessinée. Le cinéma social britannique non plus. Mais plus largement, je me nourris de toutes sortes de récits, qui n’ont souvent rien de commun avec la teneur de mes livres. J’aime le travail de ceux qui tracent leur propre route. Les suiveurs m’exaspèrent.

Le cinéma, vous y pensez en vous rasant le matin ? C’est un bon support pour aborder le réel, filmer le travail… Plus généralement, quels sont vos projets ?

E.D. Je commence à réfléchir sur le scénario d’un livre qui s’inscrira dans la fructueuse collaboration Futuropolis-Le Louvre. Par ailleurs, avec mon camarade Joub, je réalise un nouveau bouquin qui fera suite au triptyque Geronimo, que nous avons réalisé ensemble.

J’accompagne avec intérêt et curiosité les projets d’adaptation cinématographique qui peuvent naître autour de mes livres. C’est flatteur et enthousiasmant. Ces projets me permettent de vérifier une chose que je savais déjà : La liberté de travail que nous procure la bande dessinée est infiniment supérieure à celle que permet le cinéma. J’aime la bande dessinée, je ne suis pas un cinéaste frustré, et je pense que ceux qui considèrent la bande dessinée comme du cinéma au rabais se trompent lourdement.

Ma liberté de travail n’est pas négociable.

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Interview réalisée par Eric Guillaud le 12 novembre 2011